2.1.06


Aujourd'hui, pour bien commencer l'année, je suis allé retrouver la forêt.

J'étais seul. Je me suis rendu au parc régional de Lynn Creek, établi le long de la rivière du même nom. Miracle vancouvérois: onze minutes de route et je me retrouvais là où il y a des ours et, en d'autres saisons, du saumon qui remonte le courant. Par-dessus le marché, j'ai aussi retrouvé la forêt de ma jeunesse, la forêt de la solitude, la forêt du silence, la forêt qui fait peur. C'est un très beau coin, bien aménagé et tout, des sentiers, des promenades en bois à l'occasion. Mais ça demeure la forêt.

J'avançais sur le sentier détrempé, dans l'ombre, et je retrouvais la saine frayeur qui m'habitait autrefois lorsque, à la faveur d'un jeu ou d'une expédition chez les scouts, je me retrouvais seul devant l'immensité touffue du bois. Je sentais toute la force de la vie qui battait là. C'est quelque chose qui m'a toujours effrayé parce qu'instinctivement, je savais cette force plus grande que moi. Beaucoup plus grande. De sorte que le simple fait d'être seul en forêt m'humilie, comme peut-être autrefois on se sentait au pied de la statue d'un dieu ou devant la mer encore inconnue. Dans mon cas, la chose est un peu risible: je reculais d'un kilomètre à peine et je me retrouvais dans la banlieue pluvieuse et verte de North Vancouver. Et pourtant, si au contraire j'avançais, si je décidais d'affronter cette forêt plus d'une fois rasée mais redressée comme pour se relever d'un affront, je me serais perdu au milieu des troncs, des fougères, des mousses.

Soudain, un grand craquement a fait exploser le silence. Ç'aurait pu être un battement d'ailes de l'oiseau-tonnerre, mais il n'y en eut qu'un seul. Un grand arbre, de l'autre côté de la rivière, avait dû s'écrouler. Mon coeur battait plus fort mais la forêt, après quelques secondes, était redevenue calme. J'ai continué le long du sentier, soulevant parfois une branche barbue pour pouvoir passer. Plus loin, le sentier rejoignait la berge. Je m'y suis arrêté un moment. C'est un immense mouvement qui existe là, fort et tranquille malgré l'afflux d'eau des derniers jours. L'assurance de quelque chose qui approche l'éternel. C'est ainsi qu'on devrait écrire, qu'on devrait faire l'amour, qu'on devrait travailler: avec l'assurance de la rivière. Une assurance qui n'est pourtant pas à toute épreuve, mais qui s'assume pleinement.

Il faisait noir déjà. Je suis revenu de ma petite distraction forestière. Redevenu urbain, coureur d'autoroutes. Aligneur de mots.