7.1.06

C'est une grande joie que celle d'accompagner ses enfants à l'école. Une fois passé l'énervement du départ et les coups de pied au cul pour qu'on soit sortis à temps, c'est un plaisir incomparable. Le trajet à vélo, lentement, au rythme des enfants, dans les rues matinales. Les zigzags. Les petites discussions d'un vélo à l'autre. Les bornes du trajet: le parc Callister, le «muffin» (un arbuste taillé d'une forme évocatrice), le rond-point, le passage piéton, la cour d'école... Les enfants attachent leurs vélos tandis que je les regards faire; Marguerite aura besoin d'un peu d'aide. «Daddy comes to my class», commande la petite gueuse déjà passée en mode anglais. Renaud, plus indépendant, se contente d'un «bonne journée».

D'autres jours, je reste dans la cour, les embrasse et les regarde gambader vers la petite porte dérobée, invariablement attendri par tant de joie ordinaire, de présence rebondissante. Marguerite peut être en robe mauve et en collant à motifs, Renaud en pantalon toujours trop court pour ses jambes en croissance perpétuelle... Alors, je ne quitte qu'une fois la porte refermée sur mes deux écoliers. Ce matin, cependant, j'ai suivi ma guide, ma main dans la sienne, jusqu'à sa classe au fond du couloir. Et y en a-t-il beaucoup, de choses plus gaies qu'une classe de primaire? Les bureaux minuscules, les couleurs, le joyeux bordel, le sentiment que le temps est élastique. En tout cas j'aime être là, même quand c'est pour écouter Marguerite me raconter ce qui la chagrine ces jours-ci: deux copines ont formé un «club» et vont se maquiller pendant les récréations; Marguerite croyait bien être leur amie, mais voilà que les filles ne veulent pas qu'elle se joigne à elles. À la fois tragique en tant qu'embryon des relations humaines, et amusant bien que ça attriste ma petite Mimi. Je lui conseille de ne pas s'en faire et la laisse aux bons soins de Ms. Segnoe.

Et me voilà reparti sur mon vélo pour le Grind & Gallery, le café qui m'accueille souvent les jours où, comme aujourd'hui, je peux prendre quelques heures pour aller écrire. Je m'y rends lentement, profitant du vif plaisir de la solitude sur une rue passante et de celui, plus tranquille mais aussi plus profond, du petit moment que je viens de vivre avec les enfants. Alors que ces derniers s'asseoient pour apprendre les rudiments de la multiplication ou pour faire du spelling («yellow», «please», «one»), je vais aussi m'asseoir en compagnie de mon «triple latté» et de mon carnet, déterminé à essayer, tout au moins, une fois de plus.

Il y a certainement dans ma vision de cette joie scolaire une part de souvenir. Je ressens peut-être à nouveau mes petits matins d'autrefois (invariablement solitaires, dans mon souvenir en tout cas), le passage en gravelle entre les maisons de la rue Brodeur, la promenade vers l'école sur le trottoir qui longeait le boulevard Décarie, le soupir occasionnel au rond-point Grovehill, parce que se trouvait là la maison de Pascale Séguin (c'est comme ça!)... Et le mélange du souvenir et du petit bonheur bien réel, bien actuel de mon matin vancouvérois crée une sorte d'alchimie des dimensions qui touche à l'âme d'une façon particulière.

Il est juste passé neuf heures. Dans l'air humide, je capte l'odeur des grands cèdres, mais aussi comme une belle certitude, comme si j'entendais la terre tourner.

2 Comments:

At 08:12, Anonymous Anonyme said...

Un haïku inspiré par votre texte :

Nos enfants vivent l'aujourd'hui
Comme nous le vivions hier
La terre tourne


Merci.

 
At 01:32, Blogger Christian said...

C'est très beau...
mais comment donc cet instinct de l'instant parvient-il à nous quitter? Il faut ne pas oublier de vivre l'aujourd'hui, ou alors trouver les moyens de le réapprendre!

 

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