18.1.06


Ce sont peut-être les corneilles, les vraies résidentes de ce territoire. Il n'y a pas beaucoup de monde qui les écoeure, ici. Même les aigles, quand ils daignent passer, restent là-haut, bien au-dessus des histoires qui semblent si importantes au reste du monde. Les corneilles, elles, sont accrochées à la terre.

Chaque matin, elles sont trois bonnes centaines à promener leur nuage criard de sud-est en nord-ouest, passant au-dessus de la maison pour se rendre vers Stanley Park. Le soir, vers quatre heures, elles refont le chemin en sens inverse. Une migration quotidienne qui ressemble étrangement à celle des dizaines de milliers de bipèdes qui affluent vers la ville, ses jobs et son argent. J'allais écrire sa beauté, mais ce n'est pas ainsi qu'on vient voir la beauté de la ville.

Entre le trajet du matin et celui du soir, les corneilles sont au travail, elles aussi. Perchées dans les arbres, martelant de leur pas les toits des garages et des maisons, elles sont à l'affût. Et contrairement aux goélands, elles ne semblent pas se satisfaire de déchets. Au printemps, on les surprend souvent à voler de petites, toutes petites vies. On se trouve sur la rue et, alerté par des cris, on lève la tête: elle est là, la tache noire, le messager de l'inaccompli, penchée sur le nid d'une famille de moineaux. D'un geste vif, la corneille plonge la tête dans ce refuge inutile et en ressort aussitôt, tenant par l'embryon d'une aile un oisillon alarmé, incrédule. Elle s'envole la bouche pleine, bientôt harcelée par des compères paresseux et profiteurs. J'en ai vu une échapper sa proie grouillante dans un buisson et continuer son vol sans s'arrêter, parce qu'il n'y avait plus rien à faire pour reprendre l'oisillon au secret d'une mort sans intérêt.

Comme elles sont mystérieuses et malhonnêtes, comme elles semblent traîtres, avec leurs manteaux noirs... Pourtant, leurs cousins les corbeaux me sont sympathiques, eux qui aiment s'amuser dans le vent qui caresse le sommet des montagnes, eux qui parlent d'une voix plus profonde, qui volent, bienveillants, au-dessus du paysage. Corneilles, votre regard à vous est mesquin, profiteur... Et pourtant, vous ne devez pas fonctionner bien différemment des grands corbeaux. Vous vous êtes adaptées à la ville, c'est tout. On ne peut pas vous en vouloir pour ça.

Peut-être que si je ne vous fais pas confiance, c'est simplement que vous me renvoyez mon image...

1 Comments:

At 10:43, Anonymous Anonyme said...

Soi-même en corneille de la ville. Bien trouvé!

J'aime assez les corneilles, il faut dire que chez moi elles sont moins nombreuses. Une belle douzaine l'été, sur les piquets dans la framboisières, elles tiennent leur réunion du conseil d'administration à six heures. Criardes et impératives, elle me rappellent à moi aussi qui j'ai pu être quand j'étais citadin. Et qui je puis être encore, ces «folles du vent».

Merci Christian, encore une fois.

 

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