7.3.06

C'est la radio qui a le plus d'effet.

D'un côté, elle nous aide à rester «connectés». On écoute Marie-France Bazzo, Languirand, Sans frontières, etc. Les nouvelles. De l'autre, elle nous donne un écho de ce qui nous manque. Non: «manque» est un peu fort. Disons que la radio ouvre une fenêtre importante sur notre espace de base. Là-bas.

Aujourd'hui, je suis allé au travail en voiture pour rapporter des skis empruntés. Alors, dans l'auto, la radio. J'y ai entendu un couple d'Acadiens assez âgés qui contaient leur désarroi de ne plus être autorisés à voir leurs petits-enfants (au Nouveau-Brunswick, apparemment, aucune loi n'existe pour assurer ce droit aux grands-parents). C'était triste, mais combien cela m'a fait plaisir, d'entendre de vieilles voix! Elles étaient évidemment différentes de celles auxquelles je suis habitué au Québec, mais c'était tout un paysage sonore auquel je n'ai pas accès ici, qui se construisait là. Juste d'en parler, je me sens loin, soudain. Je suis dans un pays où Pierre Perreault n'existe pas, lui qui de toute évidence considérait aussi les vieilles voix comme un autre paysage façonnant le caractère, certainement aussi important que celui du fleuve ou des chutes en glace.

La radio nous les rend parfois, ces voix. Mais on se sait loin de les entendre, seule dimension qu'on connaîtra jamais de ces êtres inconnus qui nous paraissent pourtant si proches. Qui échafaudent un moment dans l'espace, à coup de «c't'une plaie qui se r'farme pas», de «on a fait comme qu'on pouvait», un pont jusqu'à nous. Un pont de coin de l'oeil, un pont du monde des rêves, ces structures à la fragilité telle qu'il suffit de se retourner vers elles pour se retrouver, regardant dans le vide, à se demander ce qui avait bien pu attirer notre regard de ce côté.

Hier, j'ai aussi reçu la voix de Gilles Archambault. Comme j'aime cette voix, et à travers elle cet homme! Lui dont je n'ai jamais lu qu'une ou deux nouvelles, mais dont les billets radiophoniques m'ont souvent ému et dont autrefois la voix, entendue et réentendue comme un vieux disque sans cesse retourné (je l'ai dit que c'était un vieux disque!), soufflait comme un saxophone tendre à travers les haut-parleurs et annonçait immanquablement un détour imprévu mais nécessaire dans le monde chaud du jazz. Un grand partageur de musique et de littérature, à qui on aimerait à la fois lancer un merci anonyme et pouvoir s'inviter chez lui à l'improviste pour discuter de la vie ou de l'après-midi.

Ah, ces voix de là-bas! Difficile pour elles, comme pour les nuages, de traverser les Rocheuses. Même le vent, il faut dire, a de la misère. Pour passer, il doit se délester de tout ce qui l'encombre, voix incluses. Alors seulement il peut s'élever, franchir la cordillère et repartir à neuf. Il se charge de nouvelles odeurs, nettoie les esprits, favorise l'oubli.

Et puis un jour on entend la radio. La radio qui, peut-être, est un autre vent...