5.3.06


Je caressais du regard la peau d'un vieil arbre. Les crevasses. Les arêtes. La dureté qui résulte d'une vie bien remplie. Une vie d'arbre, d'arbre en ligne le long d'une rue. Les arbres de la ville rêvent-ils à la forêt? Cette forêt qui autrefois se dressait à l'endroit même où maintenant, sages et bien dressés, ils se tiennent, les arbres de la ville. Reste-t-il un peu de l'esprit de ces anciennes cathédrales sauvages, comme sous l'hôpital du Royaume de Lars von Trier perdure une force, un désir inexplicable de manifestation?

Je caressais du regard sa peau, à cet arbre, ce vieil arbre qui pourtant ne serait qu'un jeune tronc pour les grands piliers qui tenaient le monde, autrefois. Autrefois, les indiens Salish utilisaient aussi le bois. Sur certains arbres, ils fonctionnaient par prélèvements, n'enlevant qu'une bande de bois sur un des côtés du tronc, de façon à ce que l'arbre puisse cicatriser et continuer à croître. Eux qui vivaient au milieu d'innombrables géants, eux qui étaient entourés d'êtres plus vieux que le plus ancien de leurs vieillards, prenaient soin de ne pas abattre entièrement l'arbre auquel ils empruntaient le bois. Et de ce bois ils faisaient paniers, tapis, vêtements, outils et accessoires.

Qu'est-ce que vieux? Qu'est-ce que arbre? Ces mots ont vu leur sens varloppés par l'expérience humaine. Comme tant d'autres choses, les arbres ont dû apprendre à vivre en lignes. À partager leur cher sol avec une multitude de tuyaux, de remblais, de parois de béton. Ils se tiennent à carreau. Ils savent peut-être ce qui advient de leurs frères qui ont le malheur de se trouver dans le chemin des humains. Un chemin qui s'élargit sans cesse.

Les arbres ne rêvent pas. C'est moi qui rêve que les arbres rêvent à la forêt. Mais les arbres ont peut-être déjà rêvé. Et parfois, dans le creux de leur peau, il me semble trouver encore un peu de la poussière qui serait tombée de ces rêves.