1.3.06

Je reviens à la montagne. L'autre jour, sur Blackcomb... Il neigeait, et nous skiions (j'aime ces mots à deux i) dans le tapis soyeux qui se renouvellait devant nous. Nous étions allés voir dans la section «Seventh Heaven» ce qu'on pouvait bien y trouver: tout en haut, dans la zone alpine, c'était le blizzard, la neige poussée à l'horizontale et le vent qui vous mangeait les joues. Pas très accueillant. Le monde n'était plus qu'un grand espace blanc avec à peine quelques rochers qui émergeaient ici et là pour lui donner une quelconque substance. Ce n'était pas un endroit hospitalier.

Alors nous sommes descendus un peu, tombant parfois à cause d'une bosse ou d'un creux impossible à voir. Et puis, petit à petit, les arbres reprenaient du terrain. Ce n'étaient tout d'abord que de petites têtes qui dépassaient du manteau de neige, mais plus on descendait, plus ils devenaient grands. Après quelques minutes, on se trouvait entre de grands murs de conifères, enfin protégés du vent. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas vu cet effet de la neige qui tombe sur les choses, qui en change la couleur, en adoucit les contours, les rend plus indéfinies...

Et puis, quelque part dans la pente, je me suis enfin arrêté, les deux skis perdus dans la poudreuse, et j'ai pris le temps de lever le regard sur ce qui m'entourait. Les branches lourdes de neiges, deux grands murs d'arbres m'escortaient, des arbres qui attendaient comme ils savent si bien le faire. Il n'y avait pas d'autres skieurs, tout était calme. Je retrouvais ce que j'aime de la forêt. Au centre d'une tranchée créée par l'homme, j'avais tout loisir d'observer, mais là, à quelques mètres, commençait la forêt, touffue, étouffée, enserrée par l'hiver. Alors, j'ai eu cette vision, j'ai imaginé comment tout cela se continuait, habitait le paysage sur des milliers de kilomètres à la ronde. La neige régnait. Par là-bas, en réalité, très peu d'hommes. Quelques animaux résignés. Et de la neige, de la neige qui tombait sur la forêt et l'ensevelissait, la recouvrait d'une tranquillité non négociable. J'aime justement la nature parce qu'elle ne négocie pas. Je voyais ces étendues mystérieuses qui doivent bien exister mais qui demeurent secrètes, perdues un incroyable enchevêtrement de végétaux immobilisés et de cristaux sans nombre. Quelle beauté il y avait là, dans ce paysage imaginaire et pourtant aussi réel que les sons lointains qui doivent l'habiter... Je l'ai saisie, cette beauté, j'ai souri et puis j'ai continué à descendre, les deux skis dans la soie.