21.2.06

J'ouvre ma fenêtre. Je la déplie devant moi. Je peux y voir ce que je veux. Les lumières de la ville à travers les arbres, vues du chemin de la montagne. Les mots d'une fille, autrefois. Les rêves touffus et innoncents, tellement innocents (les mensonges). La table qui attend dans l'ombre d'un café. Le grand Antonio, habillé de sa fierté de cirque, sentant la tristesse. Le banc de bois grossier près des machines à laver. L'espace entre les lilas et la clôture, qui était une fenêtre en soi, ou une porte sur l'une des multiples dimensions de l'enfance.

J'ouvre ma fenêtre et je vois Montréal. Le Montréal d'autrefois, le seul qui m'appartienne en propre (en connaîtrai-je jamais un autre?). Le Montréal de la solitude féconde. Mais la solitude n'est telle que parce qu'elle s'appuie sur son contraire. Elle doit contribuer à l'équilibre. Pourtant, de ma fenêtre, je ne vois que les images de peu de mots. Comme si les mots gâchaient le paysage, les impressions, ou les reléguaient au second plan. Les mots: parfois insectes dérangeants.

Dans l'été, je parcourais le royaume de mon ennui: longues cours d'école vides, toitures chaudes et molles, ruelles silencieuses. (Cette maison de la rue Girouard m'était suspecte parce que trop lisse, trop «propre» avec sa fondation peinte contre laquelle venait buter une surface d'asphalte jalousement entretenue.) On pouvait parfois croiser d'autres gars seuls aussi, qu'on regardait du coin de l'oeil: pas intéressé à me rapprocher d'un loser solitaire! Plus tard, j'allais bien souvent rencontrer encore ce genre de gars et de fille, et les côtoyer un moment parce que c'était ce qu'il y avait de facile et de rabaissant. D'autres navires sans quille. Ô soirées interminables perdues parce qu'on ne savait pas se parler franchement. À soi-même! Adieu!

Il faut apprendre, peut-être.

Mais dans tout ça que de découvertes! Certaines tristes, d'autres ennuyantes, mais certainement toutes importantes. Souvent on ne connaît l'importance que plus tard, qu'ailleurs. Avec la nostalgie, qui pousse dans le même bagage de tristesse et d'ennui. Qui le transforme en un vieux livre poussiéreux qu'on est bien content malgré tout d'avoir dans sa bibliothèque. Il y a là-dedans des mots... des mots à la saveur amère et passée... des mots comme du miel fort et chaud.