17.2.06

La chaleur liquide de la tisane pénètre en moi comme une fumée trop lourde. (Ah, ce soir je fumerais bien, si j'étais fumeur, je fumerais en écrivant et dirais ce que c'est que de fumer. Mais je bois une tisane.) Ma fatigue est comme un réseau de toiles d'araignées qui me tapisse l'espace à l'intérieur. Le liquide passe à travers tout ça, emportant avec lui les fils, créant de l'espace, facilitant la respiration. La fatigue est toujours là, mais elle change de nature, elle devient plus légère, elle berce plutôt que de contraindre. Elle devient confortable comme un oreiller.

Et la nuit qui vient sera la bienvenue. J'essaierai de lire un peu cet étonnant St. Urbain's Horseman, commencé il y a quelques jours, puis j'ouvrirai toute grande la porte à la nuit. Elle entrera, posera ses bagages de noirceur un peu partout, me racontera un moment son voyage, et son récit m'endormira. Comme il est agréable de s'endormir au son d'une histoire! C'est une des grandes choses qui manque au monde adulte. Souvent remplacée par la litanie des «informations», catalogue de défaites qui fait tout sauf prédisposer au sommeil... Je veux la nuit en manteau sombre, la nuit aux yeux d'étoiles, la nuit et sa berceuse de vent. (Messiaen mettait le chant des oiseaux en partition... mais le vent, lui, a-t-il jamais été pris par ces barrières? C'est une image, bien sûr. Je suis certain que le travail de monsieur Olivier en était un d'amour. Mais la liberté, l'insoumission du vent, qu'est-ce que ça fait du bien!)

Les yeux grand fermés, comme disait l'autre, je partirai dans les alpages des rêves, transhumance noctuelle vers des paysages changeants. Ces derniers jours, personnages et décors étonnants me sont apparus, pleins de cette réalité bouleversante qu'on ne trouve qu'en rêve. C'est chaque fois un rendez-vous avec un inconnu... mais qu'on regarde dans sa poche et voilà le nom et l'adresse de cette personne jamais vue. La fatigue se transforme en foulard. La nuit déchire un pan d'elle et m'en fait un bâton. Je rassemble mon troupeau d'abandons et je pars. Tiens? Dans ma poche... une vieille pipe et du tabac.