7.2.06


La lune s'était levée, soucieuse, sur un monde qui avait de moins en moins besoin d'elle. Autrefois, elle présidait aux naissances et aux décès, ultime lumière dans la nuit inévitable. Elle courait les ciels du monde pour rassurer les peuples dispersés. Elle veillait sur le repli du monde, jetant un regard qui ne jugeait jamais sur tout ce que les hommes avaient à lui offrir. Les hommes, mais aussi les animaux et les autres êtres. Elle souriait de son sourire étrange, parfois pris pour de la bienveillance, parfois pour de la pitié, rarement pour de l'indifférence.

Et puis d'autres lumières sont apparues pour venir lui disputer le ciel. D'abord, à hauteur d'homme, des lampes simples se sont allumées pour éclairer ceux qui peinaient encore ou rapiécaient dans les pays couverts d'ombre. Ensuite, peu à peu, un réseau de projecteur fut érigé, plus haut, et déjà par endroits cela devenait une constellation sur mesure pour les besoins de ceux qui allaient et venaient parce qu'il le fallait, parce que les routes étaient là. Toujours plus hautes, toujours plus nombreuses. Le ciel alors a commencé à se peupler de lumières volantes qui traversaient jour et nuit la grandeur comme pour la rapetisser; comme la navette jette un fil d'un bout à l'autre de la tapisserie qu'ensuite on peut resserrer. Les fibres du monde se serraient, et les lumières concertées faisaient obstacle à la nuit, dressaient un barrage contre l'entrée de la lune.

« Dis-moi, la lune, c'que t'as vu? »

Mais presque plus personne ne songeait à demander ce genre de chose. Pour bien voir la lune maintenant, il fallait faire un effort de plus, s'éloigner de la ville, se procurer une lunette, se ménager du temps... ah, le temps qu'autrefois elle réglait, ce temps même n'existait plus, trompé qu'il était par divers moyens mécaniques, automatiques et physiques, et jusque dans le corps des femmes, où de savantes pilules faisaient disparaître la mesure et le lien magique qui unissait à elle l'humanité. C'était une époque nouvelle.

Cependant la lune toujours souriait de son énigmatique sourire. Elle ne pouvait que continuer à offrir sa lumière et son visage, rassurant pour certains, épeurant pour d'autres. Les hommes passeraient, comme avaient passé avant eux tant d'autres choses. Elle-même savait que son sourire un jour retomberait dans l'oubli. Mais! Pouvait-elle faire autre chose que de continuer à être elle-même, la lune, la donneuse de conseils, la passante, la patiente?

En bas, pour ne pas l'oublier, des hommes le jour sculptaient l'image de celle qu'ils ne parvenaient plus à trouver dans la nuit.

3 Comments:

At 10:24, Anonymous Anonyme said...

L'une...
«Mais! Pouvait-elle faire autre chose que de continuer à être elle-même, la lune, la donneuse de conseils, la passante, la patiente?»

Et l'autre lune...
«Dis-moi la lune,
T'habites un coin qu'on n'voit pas bien,
mêm' quand on met nos gross's lunettes.»
Léo Ferré

Salut Pierrot.

 
At 14:28, Blogger Christian said...

Ah ! C'est me faire un immense plaisir que d'invoquer le grand Léo !
Quel type, tout de même... Est-ce qu'il n'a pas fait une chanson sur tout?

 
At 17:28, Anonymous Anonyme said...

Léo, on peut l'invoquer à tout propos c'est vrai, il y a encore ceci sur la lune par exemple:
«Si tu chantes
ta vie lente
fil'ra comm' file une étoile filante
la fortune, quelques thunes
et de quoi faire briller cette lune...»

 

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