3.2.06

J'étais sagement assis à mon bureau, ce matin. Dehors, le ciel était dégagé en partie, presque ouvert par moments. Soudain, un bruit s'est fait entendre venant de là-haut, au-delà du toit de l'édifice, au-delà de la ville. Un avion passait. C'était un tout petit avion, de ceux qui sonnent comme des insectes. Ça a duré quelques secondes; il se dirigeait probablement vers l'eau, tout près de Stanley Park, là où se trouve leur petit terminus.

Ce son était une porte qui ouvrait sur le passé.

C'était il y a bien des années, disons en 1976. J'étais assis, déjà, mais dans une classe, cette fois. Une classe aux grandes fenêtres à guillotine en bois, grillagées à l'extérieur. Je revois encore ce grillage en losanges, ces tiges de métal ondulant que j'étais content, à vrai dire, de retrouver, parce que ça voulait dire que c'était le printemps. Les fenêtres enfin ouvertes, on pouvait voir et toucher le grillage, sentir l'air entrer dans la classe, être distrait avec plaisir et abandon puisqu'ainsi le voulait le rythme même de la vie sur terre. Les fenêtres étaient donc ouvertes, l'air entrait, et avec lui de nouvelles odeurs. Je me souviens que quand un ouvrier tondait le gazon, le murmure de sa tondeuse tissait une toile de fond pour de longues minutes durant, et que peu à peu l'air sentait le gazon coupé, oui, même au troisième étage où nous nous trouvions, en cinquième année C, classe de Louise, l'odeur du gazon parvenait. Un peu après le bruit, cependant, exactement comme le bruit du tonnerre parvient, lui, après qu'on ait vu l'éclair (ah! les éclairs! saviez-vous qu'il n'y en a jamais, ici, au pays des nuages? quel paradoxe...)

Mais c'est le bruit des avions qui me transformait. Ou peut-être ce bruit additionné à tous les autres, ainsi qu'aux sensations nouvelles qu'apportait le printemps. Mais ce bourdonnement d'un avion, haut dans le ciel, invisible mais bien là, signalait l'extension du monde. Le ciel s'était ouvert, agrandi, étiré comme un métal sous l'effet de la chaleur, mais bien plus, beaucoup plus. L'avion passait, me signalant involontairement toute la profondeur du ciel, me donnant les nouvelles mesures du monde, comme sur les navires on laisse tomber une sonde à l'eau pour en connaître la profondeur. Assis à mon pupitre, maintenant fermé à tout ce qu'on pouvait vouloir me montrer à l'avant de la classe, j'étais attentif aux dimensions du ciel. Je devais me sentir comme si j'allais enfin arriver en mer après des semaines de navigation à vue sur des rivières aveugles. Le jour devenu pâte gonflait. Le monde muait, se défaisait de sa vieille peau une fois de plus, et pour lui laisser l'espace de grandir, il fallait ouvrir les fenêtres, tondre le gazon et faire passer des avions. C'était donc ça, le printemps...