31.1.06


*** À tous ceux qui ont pris le temps de m'écrire jusqu'à présent, je tiens à dire merci; vos messages se rendent bien au pays des nuages et chacun d'eux est pour moi une joie réelle. Dans cet entretien le plus souvent à sens unique que je m'évertue à poursuivre, vous me rappelez que pour l'écriture, comme pour l'amour, il faut être deux (certains diront peut-être plus!). Alors, à vos amours! ***

J'ai la tête pleine de théorbe, cet instrument au nom si doux, ce luth croisé avec une girafe. Regardez-le, avec son cou qui ne veut pas finir, qui demande d'aller porter ses cordes au-delà des dimensions habituelles. Regardez ce bois ouvré, si sûr de lui qu'il se permet d'avancer en toute délicatesse jusqu'à s'achever dans une folie austère et tendue de volutes et de chevilles. Ah, famille secrète des luths, sur qui veillent de longs musiciens aux joues creuses, instruments remplis de crépuscule et de passions soupirées, je vous aime. Voyez cette pudeur toute arabe avec laquelle on couvre l'ouverture réduite par laquelle vous vous ouvrez au monde: vous, les luths, n'êtes pas différents des anciennes demeures du Caire ou de Damas, où chaque fenêtre est voilée d'ouvrages de bois qui laissent entrer le vent et ce qu'il faut de soleil mais demandent aux regards de rester dehors. Le voyageur qui passe devant l'une de ces cages dorées, s'il lève les yeux un instant (et il est inévitable qu'il le fasse), captera peut-être la brillance d'un regard sur lui posé. Alors, mangé de mystère, il sera tenté de se laisser devenir amoureux, amoureux de l'instant, du regard, de celle qu'il invente derrière. Voudrait-il libérer l'oiseau en cage, ou justement profiter de son chant? Rien n'est simple. Mais le voyageur devra se contenter du sentiment doux-amer de la nostalgie qui s'est éveillée en lui. Et ainsi en est-il vraiment des luths, qui gardent au secret la maison de leur voix et demandent à ceux qui passent un moment d'arrêt. Mais leurs évocations douces, soupirées à travers ces barreaux élégants, tombent comme des mouchoirs dans l'air chaud de l'été. Ceux qui veulent les cueillir doivent se tenir tout près, dans des poses fragiles: c'est que le son même que rendent les cordes est lacé de façon si délicate qu'il souffrent peu qu'on le manipule. Ce sont roses des sables, wardas, qui menacent de faner aussitôt. La musique des luths demande qu'on la garde comme les mots qui sommeillent au milieu des lettres repliées.

Pour tout cela, un grand merci à Hopkinson Smith, Robert de Visée, et des milliers d'hommes et de femmes inconnus dont les mains ont porté à travers les siècles une idée que l'on a habillée de bois et nommée théorbe.

1 Comments:

At 09:55, Anonymous Anonyme said...

Bonjour Christian,

C'est vraiment agréable de vous lire tous les jours. Dans vos textes il y a presque toujours une phrase, une idée, une image que je laisse entrer et qui me... En fait, elles ne me font pas toutes la même choses vous vous en doutez bien. Certaines parfois m'étonnent, d'autres me touchent et me questionnent. Aujourd'hui je vais conserver l'image du luth comme «prison dorée» ; une âme captive est dedans qui veut être délivrée. Merci d'y avoir pensé en ces termes. Cela enrichit pour moi toutes les musiques. Ainsi que le mystérieux métier de luthier...

Je vous souhaite et j'espère que la vie vous apportera aujourd'hui encore une autre fulgurance que vous souhaiterez partager avec nous.

 

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