20.1.06


Je suis revenu à l’un des points de départ. English Bay et le West End qui l’entoure. C’est ici que nous sommes venus, au tout début, dès notre premier jour à Vancouver. Là-bas, où Stanley Park commence, nous nous étions assis sur les immenses billots de bois et avions goûté à l’eau pous nous assurer qu’elle était bien salée. C’était en mars, il faisait froid et beau, et un chapitre nouveau commençait, vaste comme la baie qui s’étendait à nos pieds, annonciatrice de la mer, mais avec comme elle des limites incertaines bien que visibles. Au sud, Point Grey, où s’étalent les quartiers riches et l’université. Au loin, vers l’ouest, les montagnes majestueuses de l’île de Vancouver, parfois réduites à l’état d’ombres brumeuses, frontières floues ou même invisibles, mais dont chaque jour de beau temps vient cependant rappeler l’existence.

Aujourd’hui, il fait assez beau pour les voir. Et je peux désormais compter les pages qui restent avant la fin de ce chapitre. Comme ce remorqueur qui quitte lentement la baie en tirant une barge surchargée, nous nous éloignons déjà, lentement, de Vancouver. Dans six mois, ce sera la fin du séjour et le temps de rentrer au Québec.

Alors je suis revenu au point de départ, dans ce quartier qui nous a vu arriver. C’est ici que j’aime le mieux la ville. Les blocs d'appartements, vieux et neufs, plantés dans des jardins luxuriants faits de palmiers, de rhododendrons, de bambous. Les arbres aux troncs habités par des mousses brillantes. L’activité qui règne, à mi-chemin entre la vie de quartier et l’agitation de la grande ville. Les gens qui passent, passagers comme moi, qui font de Vancouver le décor de leurs jours pour un mois ou une vie. Et au bout des rues chanceuses, l’ouverture bénéfique sur la baie, grand trou de beauté par où peuvent s’échapper les regards rêveurs, les pensées grises et noires, les joies, les extases.

Deux hommes repeignent les poteaux qui soutiennent les fils des trolleys. Je n’avais jamais remarqué que ces poteaux sont mauves, alors que ceux qui portent les feux de circulation sont verts. Dehors, une femme debout parle avec un couple assis: des fumeurs qui doivent prendre leur café sur le trottoir. J’aimais beaucoup venir ici, avant. Le café s’appelait Myriam’s et avait l’atmosphère géniale des vieux cafés de quartier comme on en trouve à Montréal, des cafés «historiques», avec des tables de marbre, des fauteuils surannés, des pâtisseries faites sur place. Nous sommes souvent venus avec les enfants après des promenades au parc ou sur le bord de l’eau. À présent, c’est un Starbucks, une recette. Just add coffee. C’est la première fois que je reviens depuis le changement, et probablement la dernière. Je rechigne à encourager ce genre d’endroit qui vend du café mais qui pourrait offrir n'importe quoi d'autre pourvu que ça se vende, qui n'hésite d'ailleurs pas à le faire, proposant disques, toutous, jeux de société. Myriam's a bel et bien disparu, et le calme que j’y pouvais trouver s’est envolé. Le caractère unique aussi, est disparu, avec le café de la maison Salt Spring Island. Et puis il y a trop de monde. Pour un endroit aussi magnifique, on peut le comprendre... Myriam’s devait être une relique d’un Vancouver qui n’est plus tout à fait.

Voilà. Je vais marcher un peu sur la rue Denman et les autres moins passantes, dans ce cher quartier, avant de revenir à la maison. Il est temps de partir.