26.1.06


J'ai chez moi depuis des années ce très beau livre qui ne m'appartient pas: «Éloge du silence», de Marc de Smedt. C'est la mère de Jérôme qui me l'avait prêté, peut-être après que je lui aie demandé, ayant vu dans sa bibliothèque ce nom que je connaissais à travers le zen. Je ne sais plus. En moi il construit comme la moitié d'une pièce lumineuse et dépouillée, l'autre moitié étant faite du «Désert intérieur» de Marie-Madeleine Davy, qu'elle j'avais connu parce qu'elle est médiéviste et a étudié comme moi, si je me souviens bien, les moines, les monastères et la symbolique architecturale. Il ne s'agit pas que de jolis titres. C'est vraiment à des «Espaces libres» qu'on nous convie ici, ainsi que le dit le titre de la collection.

Voici comment ça commence:
«Henri Michaux, après avoir vu la première exposition de tableaux de Paul Klee en revint "voûté d'un grand silence". C'est après avoir lu cette phrase que je décidai d'écrire ce livre.»

Comme quoi le silence construit, survole et complète l'espace, qu'il s'agisse de l'espace intérieur ou de celui, plus sensible, où nous évoluons. J'admire qu'on écrive un livre sur le silence, qu'on veuille invoquer les mots pour tenter de communiquer l'indicible. J'admire aussi cette phrase de Michaux, que je ne connais pas vraiment, mais dont on comprend à ces quatre mots qu'il est un passeur et que les mots sont sa barque. Le silence nous parle, le silence nous permet de nous confier à qui l'on veut, le plus souvent à nous-mêmes, le silence nous comprend.

Chacun a son silence.

Ce livre, étrangement, regorge de citations; les auteurs s'y rencontrent à travers le parcours de lecteur de de Smedt, qui nous conduit de Georges Braque à Le Corbusier en passant par Barthes, Michel Serres et quantité d'autres qui me sont inconnus. Mais tout revient, si j'ai bon souvenir, à la petite chambre ouvrant sur l'aube où l'auteur, à la lueur de la chandelle, écrit. Car l'écriture est une forme du silence, mais d'un silence qui serait transmissible, contagieux, comme mis en bouteille pour la même raison qu'on met toute autre chose en bouteille: parce qu'on la comprend mal. Parce qu'elle nous émerveille.

Le silence mérite bien un éloge, surtout en nos temps où il en est venu à être presque étrange, à inspirer la méfiance. Ça ressemble au racisme, parfois, cette vision du silence, en ce qu'on accepte mal ce qui ne nous est pas (ou plus) habituel. Et pourtant, toutes ces jacasseries qui nous entourent, dans nos télés, nos téléphones, nos radios, ne sont pas vraiment le contraire du silence.

Les livres sont comme des blocs chargés de silence. Ils sont patients. En fait, ils n'attendent pas mais demeurent, briques d'un ouvrage que nous n'aurons jamais assez de recul pour pouvoir envisager. Morceaux de silence et de vie.