30.1.06


Voici l'aboutissement de ma promenade d'aujourd'hui: un petit parc à Deep Cove. Vingt-six kilomètres à vélo pour m'y rendre et revenir sous la pluie battante. Revenu j'en suis, comme dirait Yoda, avec un accès d'asthme pas possible, quelque chose que je n'avais pas éprouvé depuis des années. Mais ça en valait la peine. Deep Cove, c'est si joli, avec ses quais, ses petites maisons en bois qui ont l'air de chalets, ses rues toutes croches et ses côtes pas possibles. Une petite ville à quinze kilomètres de Vancouver qu'on croirait faite pour les vacances, avec le paysage incroyable de l'Indian Arm et des petites îles qui le poivrent, comme diraient les Anglais. Celle qu'on voit sur la photo abrite d'ailleurs une maison, qu'on peut peut-être voir si on regarde bien.

Mais ce qui valait le déplacement, c'était le trajet. Nous étions déjà allés à Deep Cove quelques fois, mais en voiture, en passant par le beau boulevard suburbain nommé Mount Seymour Parkway. Cette fois, quand j'ai eu traversé le pont (ce qui n'a d'ailleurs pas été une synécure avec les vents débiles et la pluie qui me fouettait le visage presque à l'horizontale), j'ai décidé de prendre par Dollarton Highway, qui longe Burrard Inlet. J'espérais voir des scènes de bord de mer, ou l'eau, tout simplement. Mais la pluie cachait tout paysage. Cependant, je suis passé par l'une des réserves indiennes qui bordent Vancouver. Près de l'eau, comme d'ordinaire, mais toujours aussi mal foutue. On a vraiment l'impression qu'on leur a laissé les miettes. Et qu'ensuite on les a écrasés plus encore. Étrange, par exemple, que les grosses raffineries aient été placées juste devant cette réserve, de l'autre côté de l'eau, gâchant le paysage juste à cet endroit... malgré que plus loin, passé la réserve, il y a les montagnes jaunes de soufre, on jurerait des installations de Christo.

C'est le cimetière qui m'a fait penser que je me trouvais en territoire indien. Ça semblait catholique, une étrangeté dans ce coin de pays. C'était un vieux cimetière qui ne semblait plus utilisé mais dont plusieurs tombes étaient décoréesde fleurs fraîches. Je suis allé les voir: beaucoup d'enfants morts l'année de leur naissance, autour de 1941. De petites croix blanches en béton, préfabriquées, avec les noms et dates peints. Qui donc allait porter des fleurs sur la tombe d'enfants morts à un mois il y a 65 ans? Un peu plus loin sur la route, une petite église qui semblait catholique elle aussi, très simple, comme la plupart des maisons du coin. Certaines des maisons étaient même bien en-dessous du seuil de la simplicité et méritaient le nom de «shack». Signe inévitable de la réserve. Et puis on traverse et tout redevient étrangement joli, aménagé. Et comble d'ironie, le développement érigé dans les hauteurs se nomme «Ravenwood Heights». Le parc du coin s'annonce grâce à une belle pancarte gravée d'un dessin d'inspiration autochtone. Et partout, ce sont Raven ceci, Steelhead cela, avec d'autres noms carrément pris à l'exotique vocabulaire de ces nations premières mais oubliées, et des dessins qui empruntent à ces inimitables animaux mythiques qui constituent l'art unique des Squamish et autres nations ici présentes. Dépossédés. Le développement qui se plaçait sous le sigle du corbeau se félicitait même d'avoir gagné un prix. En bas, pendant ce temps, avec la mauvaise couleur de peau, la mauvaise langue, probablement à demi-oubliée, la mauvaise religion en apparence, le mauvais territoire, les Indiens passent le temps.

Oui, Deep Cove était magnifique, tellement qu'une fois rendu, j'en avais déjà oublié toutes ces impressions de contrastes et d'inégalités. Mais au moins, j'ai vu. Et ce que j'ai vu de plus touchant, c'était cette petite maison juste à côté du vieux cimetière: dans la cour qui longeait le boulevard, des jeux d'enfants attendaient sous la pluie, balançoire et glissoire vieux modèles. Je me suis demandé ce que ça devait être d'habiter, de jouer ainsi à côté du souvenir de ceux qui sont passés. C'est peut-être la meilleure chose qui puisse arriver, en fait, que les morts fassent encore partie du voisinage. On ne verrait pas ça à Deep Cove.

1 Comments:

At 13:45, Anonymous Anonyme said...

Vancouver ... et bien je ne sais pas bien où le situer , là-bas, quelque part très loin, au nord, donnant sur le Pacifique, avec le soleil couchant dans le dos ou dans l'Océan ? Question d'importance capitale . Maintenant que j'ai un poète promeneur qui m'interpelle je m'en vais analyser la chose de plus près . Qu'a-t-il vu que moi je n'ai pas encore pu voir ?Je vous suis au jour le jour ...et merci d'éveiller ma curiosité, La Fourmi .

 

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