6.2.06

Fenêtre ouverte dans les nuages. Alors, aussitôt le déjeuner avalé, nous avons sauté dans l'auto (ce qui, en réalité, est l'affaire d'un bon quarante-cinq minutes avec les enfants). il fallait aller quelque part. Après consultation de quelques bouquins, ce quelque part s'est avéré être le parc régional de Boundary Bay, une petite rondeur que s'offre la mer à l'endroit où l'on a un jour décidé de séparer la terre entre Canada et États-Unis.

Un petit bout de plage charmant où les gens venaient passer leur dimanche. Des jeux pour les enfants, la plage, de grands ronds de métal pour faire des feux. Profitant de quelques branches boucanantes abandonnées par d'autres, nous avons commencé à bâtir un feu qui mériterait ce nom. L'affaire n'était pas simple, puisque le bois de marée était humide, mais nous sommes quand même parvenus à faire jaillir une belle flambée. J'ai mis au feu un sapin de Noël abandonné ou recraché par la mer qui n'était pas encore tout à fait sec, mais qui a fait l'affaire. De temps à autre, le soleil se pointait et nous réchauffait la couenne tandis que nous écartions nos mains devant le feu comme une voyante agirait en face d'une boule de cristal.

La plage était un beau dépotoir. Le bois rejeté par la mer était organisé en grandes lignes qui pourraient faire penser aux courbes de niveaux des cartes topo. Du bois nu et lisse, enchevêtré, perdu parfois dans un amoncellement d'algues vertes et brunes. Et dans l'eau, pendant ce temps, les oiseaux mangeaient. La baie doit offrir un joli garde-manger, puisque des armées de goélands et différentes races de canards pouvaient être vues partout. Trois ou quatre hérons, perchés sur leurs grandes pattes, la couette au vent, avançaient lentement, dominateurs, dans les eaux minces près de la berge. Des aigles, aussi, volant bas, nous montraient leurs grands doigts fins et tournoyaient au-dessus des eaux, plongeaient sans être vus, puis se posaient sur une bande de sable ou sur une branche et déchiquetaient leur prise innocente.

Dans les cailloux si doux d'avoir été tant de fois broyés par la marée, de petites sortes d'escargots au coquillages en forme de chapeau de lutin vivaient au ralenti, tentant d'être ignorés. Renaud nous les a fait remarquer, et nous avons admiré quelques minutes les dessins de leurs coquilles tachetées, lignées, camouflées. L'eau était calme. J'aurais aimé prendre en photo le dessin que la mer retirée avait laissé dans la matière glaiseuse des sables, mais je n'avais pas l'appareil avec moi.

Quand nous partirons d'ici, c'est une des choses qui me manquera sûrement, cette présence de la mer. Comme si elle était à chaque coin de rue. Avec toutes les anses, les baies et les criques que lui offre le paysage, la mer s'insinue dans le quotidien de ceux qui vivent ici. Il n'y a qu'à partir à pied, à vélo, en auto: cinq minutes peuvent suffir pour la retrouver, pour au moins l'avoir dans les yeux. Je comprends que plusieurs en viennent aussi à l'avoir dans la peau.

Mes mains sentent encore le feu de bois. Elles vont maintenant presser les touches qu'il faut, refermer l'ordi et aller sombrer dans les eaux de l'oubli.