16.2.06


Bientôt la moitié du chemin, et je me rends compte que je n'ai pas encore parlé de mon travail franchement, en toutes lettres. C'était peut-être intentionnel, dans une certaine mesure. C'est que le but de ce journal est justement d'écrire, d'ouvrir sur un monde autre que celui du gagne-pain. Ouvrir sur le gagne-âme.

Mais voilà: je passe tellement de temps au travail, ces jours-ci, qu'il m'est difficile de m'en détacher, de penser à autre chose. Cette photo: l'ombre de moi-même se rendant au travail, au moment de passer dans le grand espace asphalté qui longe False Creek, là où les camions-bennes viennent à longueur de journée déverser dans des barges la terre excavée sur les sites des multiples projets de construction qui parsèment et transforment Vancouver. La plupart des chauffeurs de camions de transport de terre son Indiens sikhs, allez savoir pourquoi, un peu comme les Haïtiens font le taxi à Montréal. À longueur de journée, ils remplissent des barges de terre, et les barges vont jeter cette terre un peu plus loin dans le détroit de Georgia. Faut travailler.

Quant à moi, je bosse au 149 de la quatrième avenue ouest, le domicile principal de Mountain Equipment Co-op. Rédacteur en chef, c'est mon titre, un peu pompeux je l'admets, mais néanmoins vrai. Ce que je fais ces jours-ci? Travailler à la réalisation de notre célèbre catalogue, une entreprise de nombreuses semaines au cours desquelles il faut se pencher sur des descriptions de produits, des textes peppés sur les bienfaits de la coopération (qui sont manifestes) et les objectifs louables de notre entreprise. J'ironise un peu parce que tout travail en entreprise m'a toujours paru un peu ironique, quelque fabuleuse que soit l'entreprise en question. Et faut gagner sa croûte. Alors je n'ai pas à me plaindre de ce côté, mais en tant que cheval, que taureau astrologique, je crois pouvoir dire que je cultive un côté sauvage et indépendant, que je ne supporte pas trop longtemps d'être attaché. Je nage dans les flots de la rivière de Paradoxe, que vous ne connaissiez peut-être pas, parce qu'elle se trouve juste en-dehors du cadre de la fameuse carte du pays de Tendre.

Nous sommes à la bourre, comme ils disaient dans Pilote en 1976. On a énormément de pain sur la planche si on veut que nos membres reçoivent à temps ces jolies pages pleines de vêtements et de matériel dément qui nous aident tous à apprécier nos sorties en plein air! Alors on bosse, mon vieux, on bosse. Heureusement, le travail d'écrire en est un qui ne peut qu'ouvrir sur.

Sur quoi?

Sur tout. La vie, les gens, les histoires, les défis, les rencontres, l'amour, la mort, les choses, les idées. C'est un beau travail, même quand on doit le faire dans les limites qu'impose une entreprise ou un domaine. Et puis il y a les copains. Pour avoir travaillé seul aussi jadis, je peux dire que j'apprécie la présence des copains de boulot. Le matin, quand mon ombre et celle de mon vélo se promènent par les rues de Vancouver (ou alors sont dissoutes dans la grisaille), je suis heureux de me rendre au travail, vers une autre journée de mots à donner.

Mais malgré tout, le cheval piaffe, le taureau gronde. Le Paradoxe est une rivière où s'abreuver, mais aussi un obstacle à franchir. Le regard de l'animal ne parvient pas encore tout à fait à distinguer ce qui se trouve de l'autre côté.

2 Comments:

At 16:50, Anonymous Anonyme said...

Vous êtes étonnant. Votre travail est bien fait, sûrement. Les échos de votre famille sont amoureux. Vos textes quotidiens sont superbes. Il n'y a pas de paradoxe. Que la vie ample et inclassable. Merci de partager avec nous votre gagne-âme quotidien.

 
At 00:12, Blogger Christian said...

Merci beaucoup... C'est très gentil et très apprécié.
Alors je continue!

 

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