11.2.06


Ce qu'il se passe dans les ruelles. Comme une autre vie, une existence parallèle. Comme un réseau décalé de celui où je me trouve d'ordinaire. Comme une autre dimension. Cette femme m'a parlé, tout à l'heure, peut-être mécontente du fait que je tournais vers elle mon appareil. À vrai dire, je n'ai remarqué qu'elle se trouvait là qu'en le rangeant, l'appareil. Et je n'ai rien compris de ce qu'elle disait. De toute manière, elle se parlait plutôt à elle-même, avec cette manière de parler, qui n'attend aucune réponse, qu'ont ceux qui sont habitués d'être ignorés. Prostituée de ce quartier près du port? Voyageuse des pays improbables de la drogue, qui cherchait la prochaine étape? Résidente de mauvaise humeur? Je n'ai pas cherché à en savoir plus; je ne lui ai même pas dit que je n'avais pas compris. Je regardais la ville se draper de couleurs et commencer à se cacher dans le crépuscule. Je faisais l'effort de voir la beauté des ruelles, qui pour seuls arbres ont ces poteaux électriques compliqués. Paysage inquiétant de blocs de béton et de barbelés où j'étais allé chercher quelques fruits et légumes à rabais. Combien sont-ils, dans cette ville, pour qui ce paysage est celui du quotidien, celui des habitudes? Les ruelles, assez cachées pour qu'on y soit tranquille, assez publiques pour qu'il s'y trouve une sorte d'atmosphère de communauté. Les ruelles où l'on pisse, où l'on chie, où l'on passe le temps, les ruelles où toujours les seringues savent trouver leur chemin. Les ruelles où l'on dort. Et fait-on l'amour, dans ces vies oubliées? Si oui, ce doit être parfois dans les ruelles qu'on le fait. Elle est là, la vraie beauté désespérée, là où la vie existe malgré tout, là où disparitions et amitiés, violences et voisinage coexistent. Dans certaines ruelles à l'ouest d'ici, l'atmosphère semble parfois appartenir plus à une petite ville européenne, où tout se passe à ciel ouvert, qu'aux zones délabrées d'une grande ville nord-américaine. Et qui sait si ce ne sont pas là les deux vérités de ce monde décalé?