22.2.06

Quand vient le temps de lire un de ses propres textes devant d'autres, devant des inconnus, c'est le moment du test. Écrire seulement, ce n'est rien. J'écris maintenant; vous lirez peut-être plus tard. Évidemment, ce sera «maintenant» pour vous à ce moment-là, c'est ce qui fait qu'on lit encore Homère aujourd'hui et c'est une des richesses uniques de la littérature. Lire, c'est réécrire un peu. Mais quand le «maintenant» est le même pour celui qui donne le texte et celui ou ceux qui le reçoivent, il se passe quelque chose de différent. (Ce qui est intéressant cependant, c'est qu'alors, le «maintenant» de l'écriture est passé, tandis que celui de la lecture n'est pas encore là; on se trouve dans une espèce d'entre-deux qui confine à l'acte théâtral. D'ailleurs tous ne lisent pas avec le même bonheur.)

Mais voilà: on se trouve devant d'autres, et il faut prêter sa voix, sa propre voix à son texte. Il faut lui donner son sexe, à ce texte, comme dirait Léo. Et d'après ce que j'en connais, il y a une condition absolument nécessaire pour pouvoir le faire: l'abandon. Oh, il peut venir de contrées diverses, l'abandon. Il peut venir d'une absence de gêne naturelle. D'un désir d'avancer en partageant, comme on se rend à une entrevue juste pour se mettre dans le bain, en sachant bien qu'on n'aura pas le poste. La confiance, aussi: on sait que le texte est bon. Ah! Pour ma part, j'ai connu les deux derniers états. Il en existe sûrement d'autres.

J'ai «appris» l'abandon dans des ateliers. Il fallait lire, il fallait prêter sa voix au texte. Je me lisais depuis longtemps à haute voix à moi-même, mais ça ne comptait pas. C'est comme la masturbation: ça a du bon, mais il ne faut pas en rester là. Alors j'ai lu, appris à instaurer un certain détachement. Ça arrive un peu par magie, un peu par volonté: le texte devient autre, trouve une nouvelle dimension. On n'en reconnaît plus certains morceaux, alors que d'autres prennent une saveur nouvelle qui vient comme une amélioration à un plat connu. Le texte acquiert un «maintenant» : c'est fabuleux.

Juste avant de venir à Vancouver, en 2003 (février, je crois, donc voilà trois ans), j'ai participé à la soirée de lancement d'un numéro de Brèves littéraires, où une de mes nouvelles était publiée. C'est la dernière en date: comme le temps passe... Je revois le trajet solitaire en voiture jusque dans les recoins sombres de la nuit lavaloise... la petite bibliothèque de quartier aux marches en terrazzo... Une atmosphère sympathique, honnête, sans prétention, un rassemblement de gens qui aiment les mots. Et nous tous qui nous voyions publiés ce soir-là passions chacun notre tour à l'avant de la salle pour aller lire un extrait de notre contribution. C'était un plaisir de découvrir tous ces univers si différents dont certains nous laissent indifférent et d'autres nous appellent... Alors on va dire un mot à ceux par qui les textes sont nés. Rencontres. Parler d'écriture avec d'autres qui savent, qui savent même mieux. Un regard...

Partager: voilà le mot sur lequel doit se terminer ce billet. Voilà ce que permet la lecture à d'autres. C'est si facile d'écrire dans son coin, de se morfondre sur la platitude de sa propre écriture. D'écrire en rond. Mais voilà que si on peut partager, tout prend un nouveau sens, tous ces mots deviennent offrande, toute cette écriture devient travail, et ce travail vient justifier notre existence. Alors, que demander de plus?