3.3.06


Nous voici à la moitié du chemin. Et rien n'est plus certain. On croit d'abord que l'accumulation des choses veut dire quelque chose, mais on se trompe. Comme pour nos jours: le compteur tourne, cent, mille, cinq mille, dix mille, quatorze mille cinq cent vingt-neuf... Et pourtant chaque jour est maintenant et ne peut être rien d'autre.

On écrit. On achète un cahier, puis un autre, on passe les feuilles blanches l'une derrière l'autre. On croit construire, mais en fait rien ne compte que ce moment où l'encre s'écoule de la plume, où le doigt appuie sur une touche du clavier, une seule. En réalité, oui, l'accumulation demeure illusion, vanité. Ce n'est pas une bonne mesure des choses importantes.

L'autre jour, quand j'ai pris cette photo à partir du belvédère du mont Cypress, il ventait beaucoup, une grande bourrasque fantastique qui aurait décidé de ne pas s'arrêter. Sur la photo, juste devant la masse d'arbres de Stanley Park, on voit les vagues courir sur le petit bras de mer qui va devenir Burrard Inlet. Et regardez cette belle écume qui vient lécher les plages de la rive nord! Les vagues ont beaucoup à nous apprendre, pour peu qu'elles ne nous engloutissent pas (et même). Il en existe des milliards, toutes uniques, et pourtantcelle qu'on voit est toujours la vague ultime, qui incarne l'idée de vague. Ça me rappelle le cours sur Platon. Quand on voit, quand on sent une vague, c'est presque, c'est tout comme si on avait accès à chaque fois à la vague idéale, la vague platonicienne, si je peux me permettre cet intellectualisme. C'est comme le rossignol de la chanson, mais en vrai, qui fait flouche et nous glace les orteils.

Ai-je déjà parlé du rossignol de la Claire fontaine? Allez, j'en remets. Je chantais la chanson une fois à Renaud, il y a de cela plusieurs années, et arrivé à la phrase «sur la plus haute branche, le rossignol chantait», j'avais eu une hésitation. Était-ce «le» rossignol, ou «un» rossignol? Je ne sais pas pourquoi, mais ça m'avait fait perdre ma contenance un instant, ne serait-ce que parce que j'étais déçu de ne pas me rappeler. Et puis je me suis dit que ça ne pouvait pas être autre chose que «le» rossignol, parce qu'en fait il n'y en avait qu'un, surtout dans une chanson, tout comme quand on voit un moineau on voit «le» moineau, on ne fait pas de différence. Par leur similaritude, on assimile tous les oiseaux d'une espèce à un individu hypothétique qui les représenterait tous, et à cause de cela chaque individu acquiert une dimension mythique qui n'est pas pour me déplaire et qui impose un certain respect. «Chante, rossignol, chante, toi qui as le coeur gai.» Le rossignol se confond avec tous les rossignols passés, présents et futurs, et même avec les rossignols intemporels, comme ceux des chansons.

Le moment qu'on vit, la lettre qu'on écrit doivent être faits du même bois. Il n'en existe pas d'autres que ceux qui nous font et que nous faisons, ici et maintenant. Et si on réussit vraiment à vivre ainsi les moments et les mots, peut-être se retrouve-t-on comme dans une chanson: mythique, léger, sans appartenance, vrai.

1 Comments:

At 18:43, Anonymous Anonyme said...

Dans la blogosphère un qui réagit représente un milion (au moins!) de lecteurs. Au nom de ce million : que cette page est belle!

 

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