4.3.06


C'est une des très belles maisons du quartier, du type qu'on appelle ici «character house». Représentante cossue mais fidèle de la demeure vancouvéroise type, où le bois est à l'honneur. Oui, une vraie fête du bois. Aujourd'hui, on fait plutôt en série des horreurs en stuc beige-gris, remplies de petites alcôves ridicules dans lesquelles ouvrent des fenêtres sans cadre, avec des toits de tuiles et aucune décoration. Ce sont elles qui poussent le plus, surtout dans la partie est de la ville. Le genre de truc minimaliste qui coûterait cent cinq mille dollars à Longueuil, mais qu'on vendra ici pour quatre cent cinquante. Pas isolée, avec des fenêtres à vitre simple.

Dans l'ouest, le portrait est différent. Les beaux quartiers. Là, on voit beaucoup de townhouses se faire construire qui émulent le caractère, justement, des anciennes demeures pleines de charme. Là, on investit un peu plus dans l'ambiance. Mais revenons à la belle demeure du quartier.

Elle me fait penser à Sherbrooke, où on voit aussi beaucoup de maisons en bois. Peut-être que cela tient d'une même origine, d'un même goût anglo-saxon. Peut-être est-ce tout simplement qu'à Montréal, le bois est interdit. Ce devait être quelque chose, jadis, cette maison. Elle est posée comme un manoir sur la plus haute colline du quartier, et toute sa face arrière donne sur le paysage splendide des montagnes. Autrefois, quand il n'y avait que quelques autres maisons autour, ce devait être la demeure d'une famille riche qui avait des domestiques et peut-être un garage à l'arrière pour les voitures à cheval. Aujourd'hui, la maison a été séparée en six ou huit logements, si on en croit les boutons de sonnette qu'on peut voir à côté de la porte. C'est la grandeur partagée, ce qui n'est pas plus mal.

J'aime beaucoup ces vieilles dames de la ville, produit du travail d'artisans, ces maisons qui donnent quelque chose à l'espace public, qui ne gardent pas tout pour leurs seuls habitants. Ces demeures qui respirent, qui savent s'offrir au regard tout en gardant jalousement leurs espaces privés. Ce sont de beaux théâtres où la vie peut se jouer. Le Corbusier, avec ses «machines à habiter», est bien loin.

J'avais eu une impulsion en commençant ce texte: imaginer quelque chose à propos de ceux qui habitent, ou ont habité, cette maison. Mais j'ai laissé tomber aussitôt. La fiction ne me sied pas, ces temps-ci. C'eût été forcer... mais peut-être ne s'agit-il que d'habitudes. Quelqu'un qui fait tous les jours des histoires, ne passe-t-il pas de façon profonde en «mode» fiction, ne se demande-t-il pas automatiquement, au moment d'appuyer sur la première touche, quelles seraient l'émotion, la situation, la tension? Et qui serait derrière icelles? Ce serait aussi à explorer. Consacrer des jours à écrire une histoire... qu'est-ce que ça donnerait? Mais je reviens à mes maisons, et j'imagine tout le temps qu'il a fallu pour bâtir celle-ci. Des mois, très certainement, de marteau et de scie, de structure, de détails. À présent, les nouvelles, ils en montent trois en quelques semaines, comme pas très loin d'ici, sur Adanac. J'ai un peu l'impression d'être moi-même confiné à ce genre de construction...