7.4.06

En l'espace de quelques jours, trois lettres étaient arrivées.

École d'architecture: accepté.

École de design industriel: accepté.

Département de littérature française: accepté.

Je ne me souviens pas avoir hésité. À vrai dire, je ne suis plus certain de la nature du sentiment qui m'avait fait demander d'être admis à la troisième institution. Un peu de suivisme, peut-être. Une pointe d'honnêteté, certainement. Mais certains obstacles, réels ou imaginaires, m'avaient fait jeter cette lettre. On ne recyclait pas, à l'époque.

Deuxième lettre: c'était gentil de m'accepter, mais ce n'était pour moi qu'une porte de sortie de secours. J'avais entendu dire qu'il fallait faire la demande aussi en design pour y passer une année de purgatoire dans le cas où l'on n'était pas admi en archi. J'avais suivi la recette. Je suis bon là-dedans.

J'ai choisi archi. Je me demande parfois pourquoi, aujourd'hui. J'ai un profond sentiment envers l'architecture, la question n'est pas là. Et puis j'avais été tellement fier, à l'époque, quand on nous avait dit que nous n'étions que 70 sur quelque 800 applicants à avoir été admis! Mais j'ai découvert, à travers un processus long et parfois frustrant, que beaucoup de dimensions de la pratique m'étaient antipathiques, étrangères même. Telles qu'on nous les présentaient, du moins. Et le problème, encore une fois, c'est que je n'ai jamais vraiment fait l'effort de remettre en question ce qu'on nous présentait.

Ce fut long. Long et solitaire. Ça a eu ses bons côtés, bien sûr. Mais j'y ai plus appris à faire le mouton qu'à être moi. Après la première année échouée, j'ai recommencé, têtu. Je me revois, en cette fin de deuxième année, me disant que bah, puisque j'en étais là, aussi bien aller jusqu'au bout. J'ai un bac en entêtement. Nous, les taureaux, on nous dit parfois bons pour ça. Je le confirme. Mais quelle connerie. Ah, j'ai réussi à y trouver des intérêts. Ce voyage en Israël, par exemple, fut un épisode fantastique de ma vie. Saveurs, couleurs, apprentissages, camaraderie, les yeux ouverts sur la vie, quoi. Tellement que j'y ai puisé les ingrédients d'une nouvelle magique, entre bien d'autres choses. Voyages à crédit cependant, prêts étudiants qui servaient à justifier le sérieux de ces entreprises naïves. Cet octobre, dix ans après avoir fini mes études, je finirai enfin de rembourser.

Et le pire, c'est que j'ai continué. Mais la chose se précisait, la fascination naissait enfin... Sauf qu'il fallait que ce fût pour l'architecture médiévale: un plan pour s'endetter encore plus sans rien trouver au bout qui permette de payer. Oh, j'ai trouvé bien autre chose, si fait. Je ne me plains pas. Je questionne.

L'étrangeté, c'est que j'ai fini par me retrouver tout de même sur les bancs de deux cours de littérature, bien des années après la lettre numéro trois. Une belle classe menée par Yvon Rivard, dans laquelle se trouvaient aussi Thomas Hellman, qui chante aujourd'hui, et ce grand maigre qui étudiait Joyce, et cette fille qui aimait Brassens et qui croyait que j'avais nommé ma fille Jeanne (qui venait de naître) à cause de la Cane de Jeanne. C'est là que pour la dernière fois j'ai connu le plaisir des cours, d'apprendre mais aussi de créer... ou disons d'essayer.

Et puis bon, il a fallu passer à autre chose, presque dix ans sur les bancs des universités, ça fera... Il fallait continuer par soi-même. Le problème, c'est la confiance en soi. Bardé de diplômes dans des domaines où je ne pratiquais pas, je me retrouvais un peu perdu. J'ai appris ensuite qu'il faut lire entre les lignes, et que Maître en sciences médiévales peut vouloir dire bien d'autres choses aussi. Mais il demeure encore malgré tout ce sentiment du butineur, facinant d'une part parce qu'il a touché à de nombreuses choses, désespérant parfois parce qu'il n'en maîtrise aucune. Ou alors que celles qu'il maîtrise ne portent pas les noms qui sont écrits sur les diplômes: à quoi bon, alors?

Ah, je vous ennuie. Je m'ennuie, en tout cas. J'aurais voulu, partant de mes trois lettres, transcender, mais je tombe à plat. Ça me plaisait, cette idée des trois lettres. Comme cette chanson que Clapton chante: «Well, I went down to the crossroads...» La réalité, c'est qu'il y a peut-être des crossroads bien plus souvent qu'on le pense. J'ai peur cependant qu'on ne s'en rende pas compte. Ou alors qu'on choisisse de les ignorer, parfois, par esprit pratique. Par convenance -- convenience, diraient les Anglais.

Une fois, j'étais assis en posture de zazen, dans un camp de méditation zen, et je sentais d'une façon précise et agréable ma respiration entrer en moi, voyager dans mon corps lentement, faire une pose et en ressortir. Dans ce processus, mes organes internes se mouvaient dans une sorte de marée terriblement naturelle, et je ne pensais à rien, j'étais là, occupé seulement à exister, et à bien le faire à part ça.

Je cherche une écriture, je cherche une façon d'aimer, je cherche une façon de vivre qui soit comme ma respiration à ce moment-là. Car je savais alors que je possédais l'assurance du maître et la détermination optimiste du pèlerin. Il n'était plus question de «pouvoir», mais bien d'agir, sans attendre qu'aucune lettre vienne me servir de passeport.

2 Comments:

At 13:00, Anonymous Anonyme said...

«Je cherche une écriture, je cherche une façon d'aimer, je cherche une façon de vivre qui soit comme ma respiration à ce moment-là.»

Je te souhaite de trouver ça. Mais mon expérience de la vie (je crois avoir une dizaine d'années de plus que toi) me dit que tu deviendrais alors un cas unique. Car je ne connais pas de vie qui ne soit faite que de plénitude, ou du sentiment de «bien exister». Et les nuits? Et le secret dans les paysages? Et les détours? Et les réconciliations? Les erreurs et les corrections? Et les passeports qui ne nous conduisent nulle part, mais qui nous permettent, sans plus, de traverser des frontières.

Je retiens d'ailleurs l'image du passeport dans ce billet aujourd'hui. Brèves lettres, diplômes, certificats, attestations... Des passeports. C'est vrai que dans certains cas le prix à payer, de patience, de résignation, d'endurance, d'humiliation ou même d'argent a pu être trop élevé.

À demain.

 
At 15:12, Anonymous Anonyme said...

J'apprends votre histoire intérieure avec beaucoup d'émotions. Il m'est donné de vous connaître encore un peu davantage. Quel bonheur!

 

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