31.3.06


«Ainsi nous décrivîmes un grand arc de cercle autour de cette fange immonde, entre le pied sec des parois et le marécage, les yeux fixés sur ceux qui se gorgent de boue;
et nous arrivâmes enfin au pied d'une tour.»

Ça y est. Depuis quelques jours, je suis entré dans la Comédie. D'abord craintif, puis de plus en plus à l'aise -- façon de parler -- bien accueilli par la traduction d'Alexandre Masseron. Car il y a toujours quelque chose d'imposant à ces grands livres, à ces bornes. À moins qu'on ait eu la chance de les lire à l'école, obligé de s'y frotter, ce qui ne fut pas mon cas.

Je le possède quand même depuis quelques années. En fait, j'ai deux éditions, la première acquise en 99 selon l'inscription que j'y ai faite à la première page. Je l'ai sortie tout à l'heure de son coffret, et avec lui s'est échappée l'odeur sombre et bouleversante du cuir. Mais ce n'est pas celle-là que je lis. Pourquoi? Je vous copie sa traduction du même passage que ci-dessus, fin du Chant VII.

«Si fîmes-nous, côtoyant l'orde gloue,
grand tour entre le sec et la pourrière,
et tenions à l'oeil ces engoule-fange.
Aux douves d'une tour enfin parvînmes.»

Il y a des mots fantastiques: pourrière, engoule-fange. Mais c'est à la limite du lisible. Et je ne veux pas plonger dans une énigme, mais bien faire le voyage avec Dante. Avec cette traduction, d'André Pézard dans la Pléiade, j'aurais l'impression de toujours être en train de lire la légende de la carte. Au lieu d'avancer.

C'est pourtant celle que le cher prof Guy Allard nous avait conseillée. Probablement celle que favoriserait tout médiéviste qui se respecte (en second après l'italien original, bien sûr) pour sa rendition de la saveur langagière du trecento. Mouais, d'accord, mais faut avant tout pouvoir savourer.

Alors c'est Masseron. Et je suis étonné, je dois l'avouer. Étonné par l'aisance avec laquelle on peut encore entrer dans ce monde (avec la bonne traduction!). Étonné de la vision dantesque. De la richesse du langage et des images. Et je viens à peine de commencer! De ce livre, presque chaque vers a été soupesé, discuté, extrapolé... Je jette un coup d'oeil sur les notes au bas des pages et je n'en reviens pas. Ce monde de glose infinie, ces sociétés qui se cherchent de nouvelles bibles, comme ils voudraient nous écarter de l'essentiel, dirait-on. Je traite toute cette information comme une autre des épreuves de l'enfer! Ne pas trop regarder à gauche, ni à droite. Ne pas perdre le tracé du chemin...

«Il a les yeux vermeils, la barbe onctueuse et noire, (...) il n'avait pas un membre qu'il gardât immobile.»

Cerbère garde les enfers. Mais avec Dante il nous laisse passer, et nous avons ce privilège de voir ce que personne avant n'avait vu. De prendre le chemin difficile et sauvage.

1 Comments:

At 06:33, Anonymous Anonyme said...

Je suis vite allé retrouver ce passage dans l'édition que je possède :

« Ainsi nous parcourûmes dans les marais fangeux
un grand arc entre le sec et le mouillé,
Les yeux tournés vers les mangeurs de boue.
Enfin nous arrivâmes au pied d'une tour.»

J'aime cette traduction simple et bien rythmée de Jacqueline Risset. Je ne suis pas au courant des chicanes des spécialistes. J'avais choisi cette édition (GF Flammarion) parce qu'elle est bilingue.

 

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