22.3.06

Je suis une cloche de Pablo Neruda.

Devant moi, une photo d'araucarias. Je n'en avais jamais vus avant il y a quelques mois à peine, mais je les connaissais. Car j'ai lu Pablo il y a longtemps, bien longtemps. Et ces arbres, à travers leur noms, étaient entrés en moi. Et comme les autres mots du grand Pablo qui me sont passés devant le coeur, ils résonnent toujours à travers moi.

Ce sont de grandes colonnes conifériques (un ordre naturel plus grand que l'architecture) qui se lèvent dans la nuit australe. Grands, solides et solitaires en apparence, mais je les imagine formant tout de même une communauté indéracinable, unie par la magie de l'espèce. Image d'un univers que je ne connais pas mais qui sommeille quelque part à l'intérieur. C'est qu'une carte faite de petits signes noirs sur papier jauni me l'a fait connaître et m'en a décrit les contours, les espoirs, les luttes. Et cette carte possédait une dimension sonore qui m'a atteint pour me faire vibrer sur fréquence très basse, de celles qui ne semblent pas vouloir s'éteindre tout à fait. Dans un registre presque inaudible mais pourtant existant, moi, la cloche de Pablo Neruda, je continue d'émettre la note que m'a inspirée cette vibration. Il n'y a pas à dire: si la magie ne se trouve pas là, où donc existe-t-elle?

Ricardo Neftali Reyes, tu as dû muer pour ainsi devenir le porte-parole des araucarias. Ou leur frère? Nous sommes tous, à vrai dire, frères et soeurs des piliers de la terre, mais bien peu prennent le temps de se le rappeler. Moins encore osent le clamer. «Pablo nuestro, que estas en tu Chile», récitait Yupanqui... Moi, je ne peux pas t'appeler mien. Mais je suis heureux que des hommes et des femmes le peuvent, comme on le ferait d'un paysage, d'un lieu, d'un arbre. Comme au Québec on s'approprie «notre» sirop, en quelque sorte. Nos nourritures. Toi aussi, tu t'es fait sève pour ces peuples qui te tenaient à coeur, pour tes frères et soeurs qui n'étaient pas plantés mais douloureusement mouvants dans les paysages sans fin de la grande corne du sud.

Que la voix est immense, voyageuse comme le chant des baleines, confidente. Elle tremble dans le vent qui se frotte aux feuilles dures des araucarias, et se dresse hors du sol plus confiante qu'un tronc. Elle vous rentre dedans et vous résonnez... longtemps.