21.3.06

Aaaahh! Musica!

Je me laisse bercer par la musique de Zelenka. À première écoute, entraînant, gambadant comme le baroque sait l'être. Et puis on découvre petit à petit de la profondeur, là-dedans (et il y en a probablement bien plus que je peux en entendre!). Comme l'épisode de plain-chant qui annonce la fin de cette suite sur le Psaume 130, mais qui en fait est une ruse, puisqu'il se mue en un choeur savant qui vient terminer le tout en beauté, en une grandeur probablement plus seyante pour cette musique de cour. Enfin je crois -- mais peut-être que je parle à travers mon chapeau, à travers ma tuque! Et lui, Jan Dismas, que portait-il pour se couvrir le chef?

Dans le livret qui accompagne le disque, un mot du Dr Wolfgang Reich... Rien qu'àvoir ce nom écrit, j'ai un goût d'académisme qui me revient en bouche. Je revois le Dr Hans Böker, qui fut un moment mon directeur de thèse pressenti. Un vrai de vrai, avec qui j'étudiais d'ailleurs l'architecture baroque. Je ressens à nouveau toute la grandeur des intentions universitaires, souvent si belles, mais que j'ai dû éventuellement laisser de côté. Malgré cette image rassurante d'un moi potentiel en veston de velours côtelé à patches sur les coudes, dans un bureau empli de livres savants, image qui me plaisait assez d'une personne-ressource versée dans son domaine, référence agréable à consulter et surprenante, il m'a fallu arrêter cette «folie»! J'emploie le mot en hommage à ces pavillons érigés dans d'immenses jardins, par des rois et nobles puissants ou désoeuvrés. Dans mon cas, la chose ne fut cependant pas inutile, loin de là. Seulement, parfois je me mets à penser à ce qui serait advenu si j'avais pris plus tôt un autre chemin.

Mais il ne sert à rien de penser à ça. À moins d'en faire une histoire, comme ces États-Uniens qui ont inventé le nouveau «genre» littéraire de l'histoire imaginaire: que serait-il arrivé si l'Allemagne avait gagné la deuxième Guerre, etc.

Parlant de guerre, mon Zelenka a officié presque toute sa vie durant à Dresde, dont je ne connais que le nom mais qui fait partie de ces endroits pour moi mythiques où j'aimerais bien mettre un jour le pied. Dresde qui fut passablement détruite dans les bombardements de la deuxième Guerre. Dresde où se trouvaient une partie des archives de Zelenka, si j'en crois un site Web qui ne paraît pas terriblement sérieux mais qui fait mon affaire pour tisser mon histoire. Ainsi, une partie de la mémoire de la musique de Zelenka serait disparue en fumée, avec de nombreux citoyens de Dresde probablement. C'est malheureux, ces choses dont il nous reste une trace. Toutes les histoires de ces gens disparus, toutes les musiques qu'on n'entendra plus jamais.

Et encore, il s'agit ici d'un musicien de la cour qui a pu laisser des traces ailleurs. Les bombardés de Dresde, eux, ne laissent pas grand chose. Pas plus que ceux d'Irak, dont M. Bush a laissé tomber qu'il en était mort probablement trente mille. Par là. Un peu comme on demande trois kilos de viande. Un peu plus, un peu moins, quelle différence? En réalité, c'est probablement beaucoup, beaucoup plus. Et avec tous ces corps, toutes ces vies, avec tous ces cris, tous ces frères, et mères, et soeurs, et pères, combien aussi d'histoires, de musiques, de poèmes? On me dira que ça ne vaut pas les vies. Non, bien sûr, mais ça sert au moins de trace pour icelles.

Mais il demeurera d'autres traces. Pas élégantes comme la musique de Zelenka. Probablement plus crues: cicatrices, trous, manques, rages. Et je crois que ces traces, dures et amères comme des fossiles, auront raison de bien des soldats trahis. Dussent-ils chanter des Miserere (ce qu'ils ne feront pas).