15.3.06

«You're old, too.»

«What?»

«You're old!»

Le bonhomme au coin de la rue était petit, gras, moustachu, avec une repousse de barbe poivre et sel. L'air sympathique tout de même. Il tenait un gros sac en plastique bien rempli et attendait que le feu change.

«Not yet, I hope, but of course it's coming...»

Je me suis dit que c'était peut-être la mienne, de repousse de barbe, qui lui avait fait lâcher ce commentaire. Elle est en effet bien blanche sur le menton. Mais bon, il n'y en avait pas tant que ça après trois jours, je peux pas croire. Peut-être aussi que j'ai tout simplement mal compris. Le bonhomme, lui, souriait toujours en attendant le vert.

Moi je me dirigeais dans l'autre sens. Je me suis levé sur ma pédale et j'ai recommencé à rouler. C'était sur Hastings, où l'on peut rencontrer de toutes sortes de monde. Mais bien souvent, «toutes sortes de monde» savent dire une certaine vérité, crue comme le sushi qu'ils ne mangeront jamais, sans s'encombrer de politesses.

Après tout, je ne suis pas SI vieux que ça... Mais le printemps qui s'en vient sera tout de même mon quarantième. Quarante ans. Voilà, c'est la première fois que je l'écris, ce nombre. Ça va faire toute une tranche. Un morceau, même. Mais ça demeure une question de regard.

Je me suis toujours trouvé «vieux». Je crois que, à 24 ans, j'avais déjà ce sentiment d'avoir «manqué» des choses, «passé l'âge» d'autres affaires. Comme quoi on peut être vraiment con. C'est que cette attitude a comme résultat qu'on se dit: Bah, il est donc «trop tard», ça ne vaut plus la peine. Ça n'est peut-être qu'une excuse pour la paresse. En ce sens, mon gros bonhomme avait bien raison: You're old, baby.

Car il y a bien sûr la vieillesse physique. On n'y échappe pas, etc. Mais c'est celle de l'âme qui m'inquiète. Moi qui aime bien un certain confort et l'aspect rassurant de belles habitudes, je me vois comme un bon candidat pour ce qu'autrefois j'aurais appelé l'encroûtement. Alors qu'il faut rester léger, alerte, insolent, émerveillé, vivant, quoi! Quel que soit l'âge.

Me voilà déjà «au milieu du chemin de notre vie»... Ou par là, remarquez, ça pourrait aussi bien être le tiers, ou le deux-cinquièmes. Qui sait? Ce que je sais, c'est que je commence à avoir des bornes derrière. Les études, les enfants, quelques jobs, le XXe siècle. Le pied-de-roi dont je me sers pour mesurer le temps passé a pris de l'ampleur et il prend maintenant de la place dans ma poche. L'outil commence à devenir encombrant (peut-être suffirait-il simplement de s'en débarasser, mais on nous a tellement appris à tout compter!).

Car tant de choses n'ont pas été accomplies... Ce que je devrais en réalité voir comme un bénédiction, apparence que si tout est accompli, on se retrouve vite comme un Christ en croix, à attendre dans la douleur le dernier soupir.

J'aimerais en arriver à une nostalgie constructive. Oui, je ne le cache pas, j'aime le goût de la nostalgie. Mais il ne faut pas seulement le sentir passer en soi, échapper une larme et soupirer: ça ne sert à rien. Il faut la métamorphoser. Les brésiliens en faisaient des chansons (le font-ils encore?). Et moi? Que faire, par exemple, avec cette émotion que fait naître la musique d'Octobre, faite de possibilités en apparence enfuies, de lointains souvenirs de jeunesse, mais aussi de plaisir pur, instantané et actuel? Ne plus l'écouter? La remplacer par Loco Locass et Stefie Shock? Impossible. Le passé a un poids, mais aussi une saveur qui peut être aussi actuelle que ma verrue sous le pied.

Ah! La lune, tout à l'heure, était immensément ronde! Lui dit-on jamais qu'elle est vieille, elle?

1 Comments:

At 19:19, Anonymous Anonyme said...

«Faire» quelque chose avec la nostagie. Ou coucher avec elle et voir quels enfants... J'aime vraiment vous lire Christian.

 

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