11.3.06

Vingt-deux heures quarante-cinq. Où êtes-vous? Où est je? Facile: assis à la table de la cuisine, la table au vernis pelé, la table made in Plessisville PQ, assis sur une chaise au tissu écrasé, déchiré, carreauté, années-soixante-dixé, avec la mousse qui commence à sortir par en tsour. Facile: dans la cuisine silencieuse, avec ma bougie silencieuse, le plancher de tuiles silencieuses, les murs jaune sale silencieux. Facile: ici, à Vancouver, au pays des nuages neigeux, chez les vraies et blanches montagnes, très loin du lac des Deux-Montagnes. Je me gratte le bras.

Je me gratte l'ici. J'ai un problème avec la gratte. Gratte ceci, gratte cela, le pare-chocs frontal, le coin des ongles, la plaine dorsale, toujours à gratter, souvent jusqu'à ce que sang s'ensuive. Et dire que je chicane mes enfants quand il font pareil; c'est l'histoire du monde probablement. Où est je? Ici à se gratter. Le sourcil, le bras gauche, la cuisse droite, et le cou. Alouette. Gratte pour gratter, tu sauras que tu existes. Et si vraiment ça venait de là, d'une peur de ne pas exister. Tiens? Je saigne. J'ai atteint le gisement: le trésor. Je saigne donc j'existe. Ça me démange donc je suis.

Où est je? Je est dans la démangeaison. Je me démange. Ici, assis sur une chaise craquée devant la table égratignée, dans la cuisine silencieuse qui renferme un peu d'air du pays. Du pays de par ici.

Je est cet autre qui écrit. Je respire par la bouche par que le nez est bouché. Je a froid: je renifle. Je se demande ce qu'il peut bien y avoir au fond de soi, se demande surtout si les soi ont des fonds. Et pourquoi en auraient-ils, après tout? Si je est ici, je n'est pas là. Ici, maintenant, être est merveilleusement sans profondeur, comme le souffle par la bouche, comme une bulle diaprée (ce mot rouge qu'il y avait au miroir de maman). Ici: toutes les couleurs ensemble. Ici: silence et bruit à la fois. Ici: Je et vous et le reste.

Maintenant: vingt-trois heures onze. Où est vous? Où êtes je?