14.3.06

J'ai de bons souvenirs de plusieurs époques. On dirait qu'il y a des moments plus féconds que d'autres à ce titre, dans une vie. L'époque de la maîtrise était de ceux-là. Évidemment, le temps agit comme un tamis, a sieve, in english, un mot que j'aime bien. Il a pour effet de laisser tomber, parfois, les peines, les ennuis, les tristesses, pour ne garder que les bons temps (peut-être parce qu'ils roulent, comme nous l'enseignent les cajuns depuis longtemps, et que ce faisant ils résistent mieux aux coups du temps qui passe). Ce de quoi il ne faudrait quand même pas se plaindre!

Or donc, oubliées (ou presque), les soirées à gémir de solitude, bercé dans le hamac qui me tenait lieu de salon, à faire tourner des disques trop écoutés. Oubliées (ou presque), les peines d'amour, les déceptions, les situations ridicules. Elles peuvent remonter à la surface encore, mais d'ordinaire elles s'accompagnent maintenant d'un sourire à soi-même ou bien d'un bout de phrase dit tout haut, comme échappé du panier silencieux de la pensée (chez moi, c'est souvent ainsi que se manifeste la venue de souvenances accompagnées aujourd'hui de honte ou d'un certain malaise, comme dirait Lauzier -- qu'est devenu Lauzier?).

La maîtrise. Quatre ans de voyage dans une autre époque, beaucoup de doutes et de difficultés, beaucoup aussi de découvertes, de voyages, d'amitiés douces, passagères, sans conséquence, réconfortantes, rigolotes. Beaucoup d'à-côtés. Énormément de liberté, réelle ou imaginaire, une partie de la dernière étant due au montant énorme de prêts contractés, que je ne terminerai de rembourser qu'en septembre, dix ans après avoir reçu mon diplôme dans la malle. Christian Bergeron, M.A.

Maître ès Arts.

Éric Chartrand, je pense souvent à toi. Pour diverses raisons, dont la seule qui importe est que j'avais trouvé chez toi une fenêtre ouverte sur la possibilité, ainsi qu'une indépendance marbrée de souci des autres. Cela me plaisait beaucoup. Comme aussi, évidemment, ton regard philosophe, ton esprit littéraire et gourmet, l'un ne devant bien sûr jamais aller sans l'autre! Je pensais avoir trouvé un bon ami, une rareté, et l'un des seuls avec qui la liaison ne remonterait pas à l'enfance. Et peut-être est-ce toujours le cas, peut-être que quelque chose sommeille toujours comme une braise dans ces liens magiques qui relient les gens, mais bon, la vie bulldoze bien des choses, et l'habitude, et l'éloignement, alouette. De sorte que voilà bien des années que nous ne nous sommes même pas parlé. C'est comme ça, et je l'accepte sans rechigner. Reste que la nostalgie me monte à l'âme quand tu passes dans mon esprit comme un voyageur en transit dans un aéroport. Te voilà reparti pour Heidelberg....

C'est ainsi que je revois un certain dimanche à Varennes. Une ville alors inconnue de moi, dont je n'avais aucun moyen d'entrevoir la place qu'elle prendrait dans ma vie. Novembre. J'aimais cette rue Sainte-Anne, vieille, pleine d'âme, et la maison au grand âge que tu habitais. Escalier de bois, horloge au tictac menaçant, plusieurs bibliothèques, et des chats, j'en avais les yeux qui piquaient. Nous n'avons quand même jamais été vraiment intimes, mais tout de même de bons copains. Il y aurait eu du chemin à faire. Quoi qu'il en soit, de mon côté du moins, il me plaisait d'être là, à préparer un repas simple, à passer le temps, à apprivoiser cette nouveauté de l'autre. J'avais écrit là, sur une vieille machine, un poème d'un jet qui n'était pas mal. Il faisait gris.

Et puis ces tablées avec toute la gang, Marie, Jean-François, Isabelle, Juliette, Catherine, Michèle, Christian, Lucie, Pierre, pas nécessairement tous en même temps ou aux mêmes endroits, surtout que certains là-dedans avaient de la misère à se sentir, mais à présent ils se fondent en une grande famille, celle d'autrefois (c'est un des effets pervers de la mémoire). Plus rien ne reste qu'une sorte de sentiment «warm and fuzzy», comme on dit ici. C'est terrible, car ça ne correspond pas à la réalité, mais qu'est-ce qu'on y peut? Ça ressemble à ce qui «me reste» de ces superbes photos de la jeunesse de ma mère: comme des souvenirs imaginaires. Comme des images fortes autour desquelles il faut broder. C'est dangereux: il y a risque de s'embourber dans ces visions idylliques, idéalisées. Mais elles sont pourtant issues de la réalité.

La salle de travail commune, les cafés, les bières au Campus... warm... fuzzy. Et pourtant je pourrais chercher plus loin. Il suffirait de gratter un tout petit peu. Je trouverais des jalousies, des désespoirs, des grands vides, si intenses parfois, si immenses. Mais aujourd'hui ce ne sont que taches sur le trottoir. Je me retourne: à distance, j'ai de la misère à les voir. Et puis, je dois encore marcher.

Le givre
L'espace
Le plein de bonnes intentions

La marche inutile vers la mort
Novembre doux

L'air salé une dernière fois
Le vent lourd, pas encore trop froid
La rivière est grise et résignée

Branches nues
Branches mortes

La dernière carte d'un tarot malhabile

1 Comments:

At 20:42, Anonymous Anonyme said...

« Ils ont été trop clairsemés
Le vent, je crois les a ôtés...»
Rutebeuf

 

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