4.4.06

Par cette nuit de pluie fraternelle je pense à Alexandrie. Celle des livres, évidemment, la vraie ne s'étant jamais encore retrouvée sous mes pas. Connue par Durrell, par Mahfouz (non, lui, je crois bien que c'était le Caire), par Moustaki même. Savourée à travers Cavafy. Ah, Julie qui me fis connaître ce poète sous carapace! Et ce chapelet d'autres Grecs découverts à la même époque, Elytis le premier... Merci aussi à Angélique Ionatos!

Chaleur, oui, mais surtout comme un désir d'invisibilité, de disparition, d'entrée dans une autre dimension qui serait plus facile. Pour compenser, le poète célèbre la furtivité, l'autrefois, la double vie, la langueur de minutes volées au temps, l'existence derrière un masque. Mais Alexandrie n'est pas Venise, et l'affaire est loin d'être une fête. Plutôt une évasion à longueur de vie, une errance au ras des murs ancestraux de la cité cosmopolite mais vitrifiée. Poésie de la nuit qui efface, heureusement, les visages.

Comme je sais qu'au loin existe la Méditerranée, je sais que voguent encore les mots de Cavafy, qu'ils clapotent en moi et en d'autres, qu'ils vibrent peut-être même dans l'air alourdi de pluie que je respire ici, blotti contre le Pacifique.

Et j'éloigne de moi ces images de mer bleue sur laquelle flottent comme des plumes les reflets argentés d'un soleil vorace. Car cette poésie est plutôt faite d'ombre, d'intérieurs, de l'unique vent frais rencontré à la tombée du jour. De corps sombres et suspicieux, parfois presque honteux, tant à se cacher on en vient à croire qu'il y a de bonnes raisons de le faire. Sur tout cela ondule un voile, forteresse du poète contre sa ville différente.

La poésie naît bien au secret, mais à demeurer cachée, elle risque de pourrir. Sur celle de Cavafy, quelqu'un a ouvert toutes grandes les fenêtres tandis que lui reposait déjà, qui n'a jamais pu le faire.