8.4.06


«Free as a bird...»

J'ai quelques images en face de moi (le collage que j'ai fait), et je viens de réaliser qu'il s'y trouve plusieurs oiseaux. Un noir, en dessin, qui parle à l'oreille d'un monsieur à la Magritte, avec chapeau melon; deux espèces de pélicans en plein vol, leurs ailes noires et blanches réduites à l'état de fils magiques parce que prises au moment où elles étaient vues dans le sens de l'épaisseur; deux corbeaux qui se laissent glisser sur les courants d'air des montagnes; un héron perché dans la grisaille de l'aube, au sommet d'un conifère. Le héron qui, soit dit en passant, est un de mes oiseaux préférés.

Et il y avait cette chanson de John Lennon, ressortie des cavernes il y a une dizaine d'années, qui disait Free as a bird. Quelle simplicité dans cette toune, que l'on entendait jouée sur le piano droit de la maison. On s'imaginait à côté du grand John, qui vraiment était un grand parmi les grands, assis à l'instrument hérité du grand-père. Un son craquant qui rappelait un vieux 78 tours, avec une voix parfois hésitante mais vraie, ô, vraie comme peu de voix le sont dans la même sphère de musique.

J'ai dans la tête une toune de Corbeau avec ce son de piano droit mal accordé, mais eux, c'était parce que c'était tout ce qu'ils avaient, probablement, à leurs débuts, et ce n'est pas une des glorieuses... Et puis aussi Robert M. Lepage. Sur son disque qui commence avec les sons de la ruelle Marquette (oiseaux, enfants), il y a une pièce émouvante faite de messages téléphoniques laissés par son père («Allô Robert? C'est ton père...»), souvenirs d'un homme récemment décédé, qui alternent avec de la musique jouée au vieux piano, le son duquel évoque le temps passé. C'est très beau. D'ailleurs, ça me rappelle soudain le piano droit qui se trouvait chez mon grand-père. Je parle de lui, mais ma grand-mère y était évidemment, y est toujours d'ailleurs, sauf que c'était lui qui jouait, lui et ma mère et mes tantes, et le souvenir de ce piano qui se trouvait dans ce qu'on appelait à l'époque le boudoir est une des belles choses qui se trouvent en moi. Quelle saveur incroyable ont ces souvenirs d'enfance! (Les vieux pianos: titre aussi d'une chanson de Léveillée, mais je n'y associe aucune musique ni aucune parole. Je ne le connais pas assez, même si j'ai eu la chance d'aller l'entendre ici à Vancouver. Comme il criait plutôt qu'il ne chantait! On aurait dit quelqu'un qui lançait son chant du cygne, qui voulait prouver à quel point il pouvait encore... ce qui était à vrai dire un peu le cas. Belle soirée tout de même, surtout que grâce à Marc qui le connaissait nous étions allés lui dire un mot dans sa loge.)

Léveillée, cependant, me semble assez free as a bird.

Hier, en quittant la job, je descends l'escalier en portant mon vélo puis, juste en bas de la plate-forme de réception des marchandises, je l'enfourche et pars. La ruelle (derrière Ploutos Carpets), puis la rue Manitoba quelques secondes, puis à droite sur la 3e Avenue. Et là, étrangement, aucun son dans mes oreilles. D'ordinaire, quand je roule, j'entends le vent qui siffle, ça crée un bruit de fond continuel. Mais là, rien. Le calme tout autour. C'était fantastique. Ça n'a pas duré longtemps, à peine la longueur d'un bloc, mais ça a valu la peine. Je roulais comme sur un nuage, sans effort, sans bruit, avec cette aisance qui ne vient qu'à vélo. Grâce au silence, tout était plein.

Free as a bird.