12.8.06

Il a fallu aller dénicher tout ça dans le fond d’une boîte cachée dans un garde-robe, sous les déguisements des enfants, mais ça en a valu la peine. La vieille boîte de conserve était là, avec son gris poussiéreux, mais surtout avec les pinceaux, crayons et porte-plumes qu’elle garde depuis des années.

Follow your bliss, dit Joseph Campbell. Et là, sans l’ombre d’un doute, se trouve l’un de mes bliss. Dès que j’ai tenu entre mes doigts le fût fin d’un pinceau, il s’est passé quelque chose qui faisait que j’étais bien. Et pourtant je n’ai rien peint. J’ai tout sorti de la boîte, aligné les pinceaux sur la table, le crayon à la mine multicolore, ceux à l’encre dorée ou argentée. Mais ce sont les porte-plumes qu’il me fallait, pour cause de calligraphie. C’est que mon père se marie demain, chose étrange à écrire s’il en est une, et je devais faire les petits cartons qui indiquent le nom des invités, de façon à ce que chacun sache où il doit s’asseoir. Faut être ordonné, dans la vie! Et mon job consistait à mettre de la beauté dans l’ordonnancement.

Alors j’ai pris le porte-plume fait d’une vraie plume teinte en rouge, celui en bois fabriqué en Allemagne, l’autre à la prise en liège, celui en plastique, le tout mince en bois rouille. L’Allemand me semblait le plus approprié pour la tâche; aussi l’ai-je chargé d’une plume C-4, d’une largeur qui convient bien à mon trait, et je me suis mis à faire mes essais.

Le bois lisse entre les doigts. Le geste de dévisser la bouteille d’encre: l’odeur comme un génie qui en sort. Et puis tremper délicatement la pointe, faire glisser sur l’intérieur de la bouteille le surplus d'encre, et porter la pointe au papier. Papier, carton, monde infini de textures et de couleurs où l’encre aime aller se reposer... Je n’étais que trop heureux de l’aider à le faire, traçant mes lettres avec énergie et juste ce qu’il faut d’application, en écoutant la musique d’Hildegarde de Bingen.

Il y a des choses comme ça qui nous rendent heureux par leur seule présence tactile, par leur existence, des objets qui nous parlent plus que d’autres, qui sont, quelle que soit leur forme, les clés que nous utilisons pour entrer quelque part où tout n’est vraiment pas si mal... Et ces choses appellent des gestes, et ces gestes eux-mêmes sont la beauté, bien avant ce qu’ils permettent de créer.

Des gestes comme des pas qui permettent de suivre le bliss.