2.8.06

J’ai dû tuer plusieurs insectes, ces jours-ci. La maison en est pleine. Les araignées, à cause de leur nombre, me rendent la tâche facile: si je ne «m’occupe» pas d’elles, elles vont nous envahir (et en plus, elles grossissent vite, les traitresses). Les maringouins, aucun problème non plus, pour des raisons évidentes. Mais la besogne devient parfois ardue. En général, il faut dire que je n’aime pas tuer les bibittes. Mêmes les araignées, lorsque possible, je les prends dans un verre et les sors par la porte pour leur laisser une chance (ce qui, en hiver, est évidemment un cadeau empoisonné...). Il y a les grosses, celles qui ont assez de masse pour qu’on sente leur corps sous le kleenex fatal, et qui laisseront dans le papier une trace verdâtre, brunâtre, ou enfin d’une couleur qui n’est jamais trop intéressante. Il y a aussi celles au corps dur, dont ont sait qu’elles craqueront sous les doigts quand la main, dans un geste vif, s’abattra sur leur innocence. L’une de celles-là, tantôt, avait un beau corps élancé, et une démarche assez gracieuse toute en ondulations et en antennes agitées. Seulement, elle avait signé son arrêt de mort en se faisant découvrir au beau milieu du lit, où elle avait dû finir son vol de hasard.

Je n’aime pas tuer les bibittes parce que j’ai toujours eu l’impression de pouvoir être moi aussi la bibitte de quelqu’un d’autre. Qui sait quelle main pourrait s’abattre sur moi au moment où je m’y attends le moins? Ou alors, au contraire, au terme d’une poursuite rude mais inégale, à l’issue inévitable? Qu’est-ce donc que cette forme de vie où pour que quelques individus survivent les espèces doivent en produire des millions et des millions? Qu’est-ce donc sinon un sacrifice pour toutes les autres espèces qui s’en nourrissent d’une manière ou une autre? Étrange et gluant, le mystère de la vie et des liens entre les espèces...

Nous qui en sommes venus à n’avoir de considération qu’envers les espèces qui nous sont d’une utilité quelconque, nous avons peut-être perdu des morceaux du puzzle. Évidemment, il faut parfois tuer les bibittes qui osent franchir les limites sacrées de nos demeures. Et pourtant, dans cet envahissement, elles seules nous permettent encore de conserver le souvenir de ce que c’est que d’être la proie, d’une certaine manière. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles nous leur devons le respect.