30.8.06


Où notre héros s’enjoint lui-même à ne pas désespérer.

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«Les fauteurs de merde n’arriveront à rien, en fin de compte», se disait-il pour se donner du courage. En y pensant bien, il croyait à l’enfer, finalement, quelle que soit la forme que cet endroit ou cet état puisse prendre, et il se disait qu’il était impossible que les salauds de ce monde ne s’y retrouvent pas. «L’enfer, c’est peut-être un passage de plus sur la terre.» Il avait dit ça, une fois, en discutant de cette drôle d’idée qu’ont les hindous, la réincarnation et tout. Une vie dont le seul but serait d’en expier une précédente. Mais alors, il s’imaginait un esprit vraiment tordu, le diable en personne, puisque le diable peut certainement être plusieurs personnes, qui aurait découvert le truc et à qui ça ne dérangerait pas trop de faire le mal, de crever et de recommencer, ainsi de suite jusqu’au jugement dernier. Juste pour être sûr que le mal, inextricable comme un pissenlit stéroïdé, perdure.

Pas de danger avec ça. Mais après tout, s’ils veulent faire le mal, qu’il le fassent. Ça, notre héros le pensait. Il n’osait plus le dire à haute voix, ce qui en disait beaucoup sur le confiance relative qu’il avait en cette idée.

«Tant pis pour eux!», sermonna-t-il soudain.

La dame du banc d’en face s’était retournée un instant, les yeux inquiets, avant de reprendre son livre et d’y replonger le regard. Notre héros était dans l’autobus, il faut bien le dire, et ces réflexions sur le mal occupaient son esprit blasé par des paysages trop connus. Ah, s’il s’était trouvé dans le bon vieux temps, il aurait bien sorti son paquet de cigarettes et en aurait grillé une juste là, assis sur la banquette orange, le coude contre l’appui de la fenêtre. Il s’imaginait combien cela l’aurait détendu et distrait, mais bon, on n’était pas dans le bon vieux temps et d’ailleurs il n’avait jamais fumé.

Autour de lui, les gens étaient les mêmes que d’habitude, et pourtant il ne reconnaissait personne. Il y avait les jeunes filles en route vers l’école, les hommes et les femmes qui se rendaient au travail. Certains pourtant avaient un air à n’aller nulle part. Les plus âgés des voyageurs adoptaient déjà des attitudes d’après-midi, c’est ce que se disait notre héros sans pour autant pouvoir parvenir à expliquer cette assertion; mais il avait l’impression que les vieux étaient toujours en avance dans leur journée, et cela lui rappelait la maison de sa grand-mère, où dès neuf heures trente le matin, l’air se chargeait de l’odeur de la soupe poulet et nouilles qui allait mijoter en attendant un dîner hâtif.

Il poussa un soupir. Soudain, il aimait cette paix de matin de semaine, où chacun se rend à ses occupations ordinaires. Il était impossible de trouver quoi que ce soit de méchant, ici -- au pire un brin de tristesse. Et les humains d’âges et de conditions diverses qui se côtoyaient en remuant tendrement le faisaient avec une résignation qui se muait parfois en un début de camaraderie. Il n’était pas rare, par exemple, d’entendre deux inconnus amorcer une discussion toute simple, pour nulle autre raison que de passer le temps plus agréablement, pour rompre le silence comme on le fait du pain et accéder à quelque chose de meilleur.

«Le mal existe, se disait-il, comme les cloportes. Mais je ne suis pas obligé de me préoccuper ni de lui, ni d’eux.» C’est tout ce qu’il avait pu trouver comme comparaison. Il savait qu’elle était boîteuse, mais elle lui convenait pour aujourd’hui. Demain, peut-être s’il devait tuer le temps en attendant l’autobus, il aurait le loisir d’en trouver une autre.