10.9.05


Au pays des trottoirs je me suis égaré. J'ai lu dans les dates en ciment des destins inutiles. Comme le seront le mien, le tien. Bien sûr, ce n'est pas vrai. Sauf que ça l'est également. Je pense à l'homme qui a pressé dans le trottoir frais ces chiffres. Ce ne sont peut-être que ceux de l'adresse la plus proche, mais j'imaginais qu'il s'agissait plutôt d'une date. Une année où l'on se relevait encore de la guerre.

À Montréal, les plus vieux trottoirs portent ainsi des inscriptions, parfois joliment inscrites dans une feuille d'érable en laiton. « J.P. Perron 1949 », l'humble signature du fabricant de trottoirs. Je m'ennuie sans jamais l'avoir connue de cette façon de faire pleine de fierté. Signer le trottoir qu'on a coulé: amour du travail bien fait. C'est ainsi que je veux écrire, en plaçant des lignes bien droites aux endroits indiqués, en lissant les surfaces qui doivent retenir la pensée comme les surfaces des trottoirs doivent retenir les pas. Ne pas déraper, surtout. Et signer d'une belle impression artisanale, d'une simple date ou alors de mon nom de tâcheron. Christianus fecit.

Ce trottoir de Vancouver fut-il terminé en 1949? Ce serait possible. Il longe une rue de Kitsilano, un quartier d'au moins cette époque, presque perdu dans la verdure de plates-bandes incroyables. Derrière celles-ci se cachent des maisons aujourd'hui inabordables mais qui retiennent encore le caractère seulement petit-bourgeois qu'elles eurent jadis. Des maisons qui furent peut-être celles d'une classe moyenne maintenant effacée. Parce qu'on voit la mer, là-bas, à travers les arbres. Combien de lieux pareils existent sur terre?

Mil neuf cent quarante-neuf... Maman avait six ans et s'enfuyait de chez elle à la recherche de l'amour ou, simplement, de la considération. D'un peu d'attention. Cela se passait à Sherbrooke, dans un monde dont je me demande parfois s'il a vraiment existé tant il semble différent de celui d'aujourd'hui. Cependant, j'aime profondément cette mémoire imaginaire que je possède, intégralement transmise par maman et pleine de bonnes soeurs, de Fêtes-Dieu, d'angoisse du péché et de chansons scoutes. Papa, en 1949, avait sept ans, et je n'ai aucune idée de ce qu'il faisait. Il habitait rue Québec, à Sherbrooke. Vancouver aussi a une rue de ce nom: depuis quand?

Mil neuf cent quarante-neuf...

L'automne approche. Comme j'aimerais un automne québécois.