19.6.06

Ce qu'il y a de fantastique, avec les arbutus, c'est qu'il se développent à l'envers de ce tous les arbres que je connaissais avant. Ils commencent comme tous les autres, petits, minces, délicats. Et puis ils se bâtissent une écorce: c'est leur travail. Ils se protègent contre le monde avec une peau rugueuse, gris-brun, pleine de relief. Tout ce qu'on attend d'un arbre, quoi. Mais voilà qu'une fois assez grands, ils passent dans un tout autre mode, subissent un genre de métamorphose. Leur écorce rugueuse s'amincit, adopte une texture semblable à celle du papier, proche de celle des bouleaux de par chez-nous, mais plus mince encore, couleur cannelle, fauve, terre humide. Et puis cette écorce se met à tomber par lambeaux craquants et recroquevillés, dès que le vent se fait insistant ou qu'un humain passe, caressant.

Car sous l'écorce de papier se trouve ce à quoi voulait aboutir l'arbutus. Il s'agit de sa deuxième livrée, qui est tout le contraire de la première. C'est une écorce colorée qui peut-être pâle, semblable au cari, plus orangée, safran, ou alors un peu terne mais toujours ayant au fond d'elle cette teinte chaude, éminemment terrestre, qui donne à l'arbre l'image d'être rouillé. Et surtout, c'est une écorce lisse: on y place la main, on suit la forme de la branche, et on a l'impression de découvrir une scuplture polie par les milliers de visiteurs du musée, ou encore on croirait se trouver devant un meuble vivant, qu'un menuisier habile aurait façonné à même un arbre, sur le terrain.

Ayant laissé tomber sa première apparence, l'arbutus se trouve ainsi nu, lui-même, inoubliable. Comme un danseur inimaginablement lent, il déploie des membres contorsionnés qui semblent pleins d'une sorte de passion, de sorte qu'on ne serait pas surpris, revenant après une année à l'endroit où pousse un arbutus connu, de le retrouver dans une tout autre posture. C'est un arbre qu'on dirait en mouvement. Et toujours poussant près de l'eau, sur des berges rocailleuses, là où ils peuvent choisir le soleil qui leur convient, les arbutus souvent profilent leur délicate forme orangée contre un décor de forêt sombre et verte. Incroyablement lisses dans un monde où tout est carapace, ils donnent en spectacle leur vulnérabilité retrouvée, comme s'ils s'en faisaient une fierté. Et même si cette vulnérabilité n'était qu'une illusion, l'image demeure, magnifique.