12.6.06

Les histoires qui se passent alentour de moi ne cessent de m'intriguer. Juste ici, maintenant que me voilà assis sur le balcon, dans la lueur du jour qui s'en va se dissolvant.

Le voisin d'en arrière, après avoir passé tout l'après-midi à farfouiller sur le gros camion tracteur d'un pote, est encore dans la graisse, à jouer dans son bateau. Une vie de moteurs, de mécanique, de doigts graisseux. Et une petite fille d'environ cinq ans, aussi, qui de toute évidence n'était pas là aujourd'hui. Où est-elle? D'où regarde-t-elle le ciel devenu vert? Elle doit être couchée, en fait, à l'heure qu'il est.

Basil, qui habite en bas pour quelques jours encore avant de s'envoler vers une nouvelle job à Fort McMurrray, dans l'industrie pétrolière, est sorti un moment tandis que j'essayais d'écrire. Ses chaussures frottant sur le trottoir, il s'est dirigé d'un pas lent vers la ruelle, l'air amorphe d'un gars saoul ou alors très fatigué. Il est revenu quelques minutes après, mais sans avoir eu le temps de griller une cigarette (d'ailleurs je ne crois pas qu'il fume) ni de se rendre au dépanneur qui de toute manière est peut-être déjà fermé. Qu'est-il allé faire? Prendre l'air, peut-être. Sa blonde est repartie en Nouvelle-Écosse, sa mère était venue s'établir ici mais voilà que lui s'en va poursuivre les dollars et, plus simplement, le travail, en Alberta. Je crois qu'il aimerait bien retourner dans son cap Breton natal, mais qu'il ne se trouve rien là-bas pour occuper et faire vivre un gars comme lui.

Et puis il y a la femme de Hemit, dont je n'ai jamais compris le nom. Pas que j'aie à lui parler souvent, mais tout de même, on se croise comme des voisins, on se salue. Surtout depuis que lui est parti. Retourné chez sa mère, en fait, qu'il m'a dit un jour où il était venu faire son tour (il revient tout de même parfois la fin de semaine). Une histoire de drogue et d'alcool assez excessive pour qu'il ne cadre plus dans le portrait d'une famille qui compte aussi deux filles de seize, dix-sept ans. Alors il est parti faire un genre de cure, un «nettoyage», m'a-t-il dit une fois qu'il était venu tondre le gazon laissé à l'abandon. Sa femme, ce jour-là, semblait heureuse qu'il soit là, elle était décontractée, souriante. C'est pourquoi il était touchant de la voir quitter sa maison rapidement, tout à l'heure, en passant son poignet sur le côté de son visage, tout près de l'oeil. Il me semble qu'elle pleurait. L'autre femme qui habite avec eux, une asiatique qui est apparue un beau matin après le départ de Hemit, est sortie à sa suite en lui lançant une question que je n'ai pas pu comprendre. «Yes, I'm fine», a répondu l'autre.

Je n'en sais pas plus. Et je ne le veux pas nécessairement: ce n'est pas mes affaires. Mais toutes ces histoires, je trouve, sont touchantes. Elles ont toutes, comme probablement les histoires de chacun d'entre nous, un «ailleurs» qui tient une place importante dans le déroulement des choses, mais dont l'existence même est cachée à l'observateur. Comme s'il était impossible qu'une histoire puisse tenir en un endroit seul, être complète, être ronde. Comme si rien ne pouvait être simple.

Le ciel qui surplombe tout ça, cependant, est d'une simplicité majestueuse. À moins, encore une fois que tout ça ne soit vrai qu'en apparence...