7.6.06

Le regard reposé, léger, les mains jointes sur ma poitrine, je sentais mon coeur battre contre mes pouces. J'étais là. C'était aujourd'hui le dernier cours de yoga.

Il y avait l'été commençant, il y avait l'air presque chaud, la lumière généreuse du soir. Il n'y avait aucune attente, aucun désir, aucun futur. Les mouvements s'alignaient aussi purs que la respiration, précis, nobles, sacrés. Quelque chose faisait en sorte que tout était bien. Pas parfait: bien. Les membres, qui commencent à être pétris d'habitude, se plaçaient avec sérénité sur le tapis, et le corps suivait, adoptant la pose en un geste élégant et simple. C'était comme avoir une conversation avec soi-même, mais en utilisant son corps pour dire les choses.

Mes pieds, dans la posture du chien, étaient franchement plantés dans le sol, les orteils écartés. Suivant les instructions de Jen, je passais d'une réalité à l'autre, toujours la même en fait, mais adoptant des visages différents. Il y avait là quelque chose de la perfection d'exister.

Sans penser, je me rappelais cependant une autre occasion du même genre. C'était il y a bien des années, à ma deuxième sesshin. J'avais pris l'autobus de Montréal vers Sorel et m'étais arrêté à un ancien monastère entre deux petites villes. Très intimidé par le monde mystérieux du zen, je m'étais tout de même soumis à l'horaire dément d'une fin de semaine de pratique. Et là aussi, dans cette église abandonnée des années quarante, habillé d'un kimono noir et assis comme une trentaine d'autres sur mon petit coussin, face au mur, j'avais goûté au festin de l'instant.

Il faisait chaud, je me souviens, et parfois des moustiques volaient, profitant de mon immobilité pour se poser sur mon front et me piquer sans que j'ose défaire ma posture pour les embêter. Ce n'était pas grave. Il se passait quelque chose d'important, dans cette immobilité. Mon corps avait découvert un rythme nouveau, tout intérieur, et se laissait aller à le suivre comme un aveugle doit suivre avec confiance une personne qui le tient pas la main. Ma respiration, lente, faisait entrer en moi un air nouveau qui me massait de l'intérieur et ressortait participer à la construction de l'atmosphère épurée du dojo. J'étais non pas heureux, mais certain, absolument certain, et ainsi j'étais réellement frère de ces grandes épinettes qu'entre les sessions de méditation je dessinais dans un carnet, et de ces chansons que nous finissions par partager entre inconnus.

J'étais au milieu de la rivière, toujours neuf, et l'autre rive pouvait être celle-là ou celle-ci.