28.9.05


Are you buying rock'n'roll?

Je suis souvent passé par ce quartier. Strathcona. Plusieurs beaux coins. De belles maisons aussi, entourées de feuillages et d'arbres, à la fois altières et simples. Dans une rue particulière, les maisons sont sous le niveau du trottoir: les gens doivent descendre un escalier pour y accéder; certaines ont aussi des passerelles. Mais parlant des trottoirs, comme ce quartier jouxte le Downtown East Side, ils servent aussi de salon, de bar-salon, de piqueries et de bordel. C'est comme ça.

L'autre jour, je marchais pour me rendre au travail, et une des femmes me demande alors que je passe près d'elle si je voulais de la compagnie. Je lui souris, la remercie, lui dit que non. Elle me suit un moment en me déclinant son menu: étonnant comme on pourrait se payer un petit quelque chose pour pas cher. Au prix, probablement, de la plus petite unité de drogue sur le marché. Ecstasy? J'en doute.

Ces femmes me fascinent. Me font pitié aussi. Je ne peux m'empêcher d'imaginer quelque pimp dégueulasse leur rôdant autour, les tenant par des couilles d'autant plus délicates qu'elles sont métaphoriques. J'en vois certaines, les «vieilles», qui doivent avoir 42 ans mais qui ont l'air d'arpenter ces trottoirs depuis des dizaines d'années, et je me demande comment le corps peut en arriver à ce point-là de déchéance. Il doit certainement rester en elles une beauté quelque part, dans leur regard, dans un geste naturel, mais ces femmes-là gardent leur regard pour elles -- c'est peut-être tout ce qui leur reste -- et n'ont plus de gestes naturels.

Certaines sont belles, très belles. Elles ont réussi à conserver un air de naïveté, une certaine rondeur du visage. Ce n'est peut-être qu'une question de temps; je ne sais pas. Pour moi elles n'existent que quelques secondes, parfois une minute. Un jour, j'ai voulu aller les écrire. Aller me placer là où elles se trouvent, les observer de loin, et écrire. Je me suis rendu dans Strathcona, justement, mais j'ai vite réalisé que si l'on devait écrire ces femmes, ce n'était pas de cette façon. Je m'étais placé dans la position du visiteur au zoo, et Dieu sait si je déteste les zoos. Je suis reparti par respect.

Je n'achèterai pas de sexe ni de drogue, dans Strathcona ou ailleurs. Ces choses-là ne devraient pas se mêler à l'argent. Mais l'argent, lui, a ce pouvoir de se mêler de tout. Je rechercherai ce qui est gratuit, et ce qui ne l'est pas encore, tenterai de le rendre tel. Car c'est là que se trouve ce qui est vrai.