25.9.05


Je me mets au clavier en écoutant des Nocturnes de Chopin. Ce genre de chose, il me semble, existe si peu ici. Ce raffinement, ce relent d'européanité, cette présence de la musique qu'à Montréal au moins on sent, dont on est au courant qu'ils existent, auxquels on participe, ici ne sont pas parvenus.

Ou peut-être est-ce simplement que d'avoir quatre enfants me garde trop à la maison. Je n'arriverais plus à sentir le monde qui m'entoure de la même manière? Non. Vraiment, ici, l'Europe est loin, bien plus loin que la Chine, le Japon, Hawaii. Et comme c'est étrange, je viens tout juste de remarquer la parenté apparente entre Hawaii et Haida Gwaii, aussi nommées «Îles de la Reine-Charlotte». Vous ne savez pas qui fut la reine Charlotte? Moi non plus. Je ne sais pas non plus qui furent Baker, Seymour, Robson, Fraser et tant d'autres dont les noms ont été poivrés sur le paysage, comme diraient les anglais. Chopin, lui, n'a laissé son nom qu'à la musique, et lui je le connais bien.

Pauvres amérindiens. Ils n'avaient pas l'écriture, et ça leur a coûté cher. Toute une culture à la tradition exclusivement orale: essayons d'imaginer ça, pour voir... Je sais que dans certaines culture amérindiennes, on donnait à certains individus la charge de la mémoire du peuple. Dans un exemple que je connais, chaque année était résumée par une phrase rythmée, ce qui facilitait la mémorisation de l'histoire... tout en la simplifiant à l'extrême. Un explorateur blanc était tombé sur un personnage qui portait ainsi en lui environ deux siècles de l'histoire de son peuple: ici des guerres, là un accident, ici un enlèvement, là encore une famine.

Sans écrits, on vit dans le présent, on ne peut pas faire autrement. Une forme de zen qui porta malchance aux «Premières nations». Facile de faire oublier ce qui n'est que paroles, quand on a le sens de l'honneur élastique des «découvreurs».

Aujourd'hui, à Vancouver, les hommages aux cultures amérindiennes sont partout. Totems, dessins, noms ressuscités, légendes et histoires qu'on apprécie d'autant plus qu'elles sont lointaines et mythiques. Tout y est, sauf les principaux intéressés. Quand ils ne sont pas dopés à mort au coin de Main et Hastings, ils passent apparemment le temps dans une réserve miteuse à flanc de zone industrielle ou sur le bord d'une route à vendre trois saumons ou du bois pour pas cher. Sur Hastings ou ailleurs, cependant, même regard absent, sans l'iris absinthe de Gainsbourg.

Et si, devant Science World (maitenant nommé Telus World of Science dans un geste qui illustre bien le fait qu'on ne donne même plus, aujourd'hui, les noms de personnes supposées illustres à nos monuments, mais bien ceux de corporations) on trouve des pavés moulés qui portent des mots amérindiens comme celui qu'on voit sur la photo, cela semble comme une plume flottant dans l'air à quelqu'un qui n'aurait jamais vu d'oiseau. Qu'est-ce que ça fait là? Qu'est-ce que ça veut dire? Trace inutile et hors contexte, dans une langue à qui l'on a prêté les lettres d'une autre culture pour pouvoir l'écrire.

Il n'y a que les blancs qui aient pu penser à ce genre d'hommage. Il n'y a qu'eux aussi qui aient pu aussi bien rater leur coup.