15.9.05


Je ne t'attendrai pas au Molly's Coffee Shop.

Pour la bonne raison qu'il s'agit en fait d'un restaurant tenu par des Chinois où l'on sert des hamburgers et des frites vraiment passables. Leurs sautés de légumes et tofu sont peut-être meilleurs, mais qui aurait l'idée de choisir ça sur le menu du Molly's Coffee Shop?

Ce que je peux faire, cependant, c'est inventer le Molly's où j'aimerais t'attendre.

Tu serais en retard. Ce serait un jour pluvieux de fin d'automne vancouvérois, un jour de repli. Ce livre que j'aurais, je ne le lirais pas; il serait peut-être déposé sur la table, inutile. Je t'attendrais en ne pensant pas vraiment à toi, puisque je te verrais dans quelques minutes. En fait, je ne penserais à rien.

Tiens? Le son de la pluie devient plus fort, annoncé par un grincement. La porte s'est ouverte, un client est entré. Il connaît Molly, la salue par son nom. Je pensais bien avoir deviné que c'était elle; maintenant, je sais. Depuis quand tient-elle ce café, depuis combien d'automnes regarde-t-elle des gens en attendre d'autres? Elle finit par passer et remplir ma tasse à nouveau sans qu'un mot ait été dit. Je la remercie d'un regard assorti d'un sourire. Je te réserve mes paroles, et je crois qu'elle comprend. Molly en a vu d'autres.

Des hommes lisent des tabloïds; le papier humide des journaux retombe comme un pétale fatigué. Sur la table en formica, grise comme si elle était faite de l'air du temps, ma main gauche est immobile. Je sors mon crayon et tente d'en faire un croquis sur le napperon de papier. Mon trait s'égare, devient tourbillon, gribouillis, impatience. Tu es en retard et l'impatience ne fait pas de bons dessins.

J'aime t'attendre chez Molly's cependant, sans raison particulière, parce qu'il me semble que c'est un lieu façonné dans l'attente, dans toutes ces heures passées par tous ces gens à en espérer d'autres. Les heures fertiles de l'attente. Tiens, te voilà peut-être dans ce son de la porte à nouveau qui s'ouvre. Oui, vraiment, te voilà vêtue de pluie. Tu veux t'asseoir? Non. Il faut sortir. Je voudrais te parler mais ici règne le silence des bruits quotidiens, qu'il ne faut pas troubler.

Viens, allons sous la pluie.