11.9.05


Un jour c'est ainsi que je verrai Vancouver. En arrière, dans le rétroviseur, comme l'enfance ou la visite chez le dentiste de mardi dernier. (Le dentiste, seulement, on y retourne toujours... jusqu'à ce que ça n'en vaille plus la peine.) Devant nous, la route s'ouvrira. Il aura fallu faire les adieux. S'arracher à cette terre humide, quitter les copains. Consoler les enfants.

Il y aura un dernier trajet en vélo vers la job. Dernière descente sur Adanac, dernier passage le long du garde-fou de False Creek. Dernier respir de l'air salé qui ne goûtera alors, comme maintenant, que l'air ordinaire. Embrassades, certaines émotives, d'autres obligées. Et puis il faudra bien regarder vers l'Est.

Car c'est dans l'Est que se trouve la Demeure. Le pays. Ici, nous sommes des voyageurs, même si le périple dure depuis déjà plus de deux ans. Nous sommes Ailleurs. Et ailleurs, parfois, on est un autre. Je ne dis pas que ce soit mon cas. Je ne crois pas qu'on puisse dire ça de soi. Et puis il arrive que ce soit ce qu'il faut. Anne Hébert à Paris, Paul Bowles à Tanger, Kazantzaki à Antibes, Michel Tremblay à la Clé de l'Ouest. Je est un autre, disait quelqu'un dont je m'étonne de ne pas savoir de qui il s'agit. Sartre?

Peu importe.

Je suis parfois fâché de ce sentiment d'attachement. Je voudrais être libre, pouvoir aller sans problème au gré des vents. Mais se pose le problème du temps. Celui qu'il reste, celui qui passe, maintenant. Vouloir revenir n'est pas tout à fait la même chose que vouloir être ailleurs. Et puis il y a les enfants. Mais ce sentiment d'avoir un chez-soi est très fort; ça aussi, j'aimerais que les enfants le connaissent, bien qu'ils s'en foutent probablement. Les enfants ne s'intéressent pas à ça; ils sont chez eux là où ils se trouvent. Ce n'est que plus tard, peut-être, qu'on cherche à garder son ancre dans le terreau qui a vu notre enfance. Qu'on s'imagine un pays.

Un pays, est-ce autre chose finalement qu'une habitude?

Oui, probablement. Car il y a les autres. Les amis, la famille, ceux qui composent notre vrai paysage. Et tout dépend de l'importance qu'ils ont pour nous, ou de celle qu'on leur accorde. C'est en roulant vers ce paysage-là que je jetterai un coup d'oeil dans le rétroviseur, quand le temps sera venu. Je verserai probablement une larme, alors, comme je l'ai fait dans l'avion, le jour où nous avons débarqué au pays des nuages. Le 1er mars 2003.