19.10.05

-- Laissez passer...

La voix du godo, miraculeusement basse, emplissait la pièce comme un parfum.

-- Pas bouger. Le menton... reste bien droit.

Assise sur le zafu, jambes croisées, les genoux contre le sol, Hélène souffrait. Elle souffrait une souffrance qui n'était pas tout, loin de là. Sa souffrance: une des choses qui composaient son existence, maintenant. Une des choses à laisser passer. Hélène sentait sa respiration labourer son corps, descendre jusque là, loin là-bas, près du sol, puis remonter au somment de ses poumons, comme si l'air grimpait une montagne ou atteignait la surface d'un lac avant d'y replonger. Dedans, dehors. Simplicité absolue de la respiration. Profondeur.

-- Laissez passer... Les épaules sont détendues.

Laisser passer. Dans un même panier, il fallait ne pas mettre le texte à terminer pour demain, l'insulte lancée par Nico, les excuses qu'il avait bredouillées ensuite, les oeufs échappés sur le plancher, le traitement de cancer de maman, l'examen qu'il faudrait bien aller passer bientôt, le cheveu qui retombait sur la joue, le chatouillis que cela faisait. De tout ça, il fallait faire un respir de plus, tout ça le souffler au ciel pour en faire des nuages à regarder passer. Respirer.

-- Les pouces sont bien droits... ils ne forment ni montagnes, ni vallées.

Un long moment.

-- Bien fait, zazen est la posture idéale. Dogen dit que pendant zazen...

Avec chaque inspiration, les pensées d'Hélène remontaient, soldats infatigables à l'assaut de la dernière des murailles. Il fallait croire sans y penser au pouvoir du souffle, et tout faire valser en l'air. Croire que d'un mouvement respiratoire, on pouvait changer le monde. Bien sûr, tout à l'heure il faudrait se dévêtir, enlever la robe noire et remettre les vêtements de la vie ordinaire, reprendre l'autobus, retourner chez soi où le plancher était encore humide, où le torchon attendait sur le comptoir, où le carton d'oeufs ramollissait dans l'évier.

-- ...faire zazen, c'est mettre un pied dans son cercueil.

Maintenant. Oui, faire cela maintenant ce serait s'y préparer pour plus tard. Mais comment se préparer au cancer, aux oeufs qui tombent, aux insultes échappées? Comment préparer sa propre mort? À 24 ans? Respirer. Laisser passer, se dit Hélène, l'âge, laisser passer les idées, les cercueils, les maladies, la souffrance.

-- Zazen est difficile.

Les genoux plantés dans le sol, Hélène respire. Dedans, dehors. Dedans, dehors. La souffrance? Oui. La séance qui tire à sa fin? Oui. Nico qu'il faudra confronter? Oui. Oui. Oui. Respirer. Oui. Laisser passer. Oui.

Oui.

Une cloche sonne, riche. Zazen est difficile, zazen est comme la vie. Zazen recommencera.

3 Comments:

At 10:54, Anonymous Anonyme said...

zazen c'est entrer dans son cercueil pour en ressortir tous les sens affinés comme une nouvelle naissance avec la conscience du véritable soi.

 
At 10:56, Anonymous Anonyme said...

nous sommes sur les mêmes ondes...découvrez http://fleurduzen.over-blog.com

 
At 11:42, Blogger Christian said...

Merci pour Fleur du zen!
C'est un très beau blog que j'irai lire souvent.

 

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