14.10.05

Nous arrivâmes à la clôture quelques instants après, toujours bras dessus, bras dessous. Il y avait une porte dans cette clôture et sur la porte, il y avait un cadenas. Steve laissa mon bras et pris le cadenas entre ses doigts; il fit tourner le cadran à gauche, à droite, et j'entendis un déclic. Le cadenas enlevé, la porte s'ouvrit et nous passâmes. Nous ne nous trouvions plus dans une ruelle, mais bien dans une sorte de petit jardin. Ça semblait être un endroit privé, puisque le jardin était entouré sur trois côtés par une grande demeure de trois étages dont les fenêtres du rez-de-chaussée étaient toutes éclairées mais fermées de rideaux. Comme s'il s'agissait d'une routine accomplie des dizaines de fois, Steve remit le cadenas sur la porte et emprunta le petit sentier de pierre qui se dirigeait vers la porte de la demeure.

-- Viens. J'aimerais te présenter à quelqu'un d'intéressant.

Je le suivis sans dire un mot. Arrivé devant la porte, je m'arrêtai un moment, écoutant la nuit. Il y avait quelque chose dans l'air qui me paraissait étrange, la qualité du silence, peut-être. Je ne sentais plus rien de ce qui habite une soirée ordinaire, ou même une nuit ordinaire, du Vieux-Montréal. Et puis cette maison, je n'arrivais pas à la replacer, à en imaginer la façade, de l'autre côté. Je connaissais un peu le coin, pourtant. J'avais levé les yeux au ciel, mais il n'y avait à voir que les flocons qui tombaient toujours. Steve avait déjà franchi les quelques pas qui me séparaient encore de la porte. Il devinait mon hésitation.

-- Tu te rappelles la flaque d'eau? Tu es de l'autre côté maintenant, Pat, c'est normal que les choses soient un peu différentes.

Entendu. Je me suis approché de lui pendant qu'il ouvrait la porte, et nous sommes entrés. En passant l'ouverture, je fus frappé pas la chaleur qui régnait dans cette demeure, par les odeurs aussi. Je me sentis un peu comme quand on arrive chez une tante la veille de Noël et que l'air humide de la maison vient nous chercher sur le perron avec ses odeurs de rôti et ses éclats de voix entremêlées. Ici, tout était silencieux, cependant. Et puis... et puis je ne m'appelle pas Pat. Ce qui est étrange, par contre, c'est que ce nom, je l'avais déjà porté dans une série de rêves que j'avais faits sur une période de quelques années. Steve ne pouvait pas savoir ça.

Un homme venait d'apparaître devant nous. Steve s'est déplacé pour que nous soyons côte à côte. Placé à contre-jour, juste au bas de l'escalier comme s'il venait d'en descendre (bien que je n'aie entendu aucun son), l'homme ne parut d'abord être qu'une ombre. Mais il s'avança alors vers nous, et je commençai à mieux le distinguer. Il portait un beau manteau de laine sombre, ce qui me parut étrange à cause de la chaleur qui régnait dans la pièce. Moi-même, je commençais à suffoquer, et je portai les mains à mes boutons pour enlever le mien. L'homme fit de même. Nous enlevâmes nos manteaux l'un après l'autre, et Steve, qui jusque là s'était tenu immobile, me prit à nouveau par le bras pour m'approcher de l'homme. Je fis un pas mais je m'arrêtai sec. Cette chemise, cette repousse de barbe, ces cheveux... Cette boucle d'oreille... Cet homme, c'était moi...

(à suivre)