6.10.05


Il était une fois... Non: il était d'innombrables fois, il était des matins infinis, il était des jours si nombreux que jamais on n'avait songé à les compter. Il était le temps d'une histoire; il est et sera encore peut-être ce temps qui, parce qu'il n'est pas compté, s'approche de l'éternité comme la courbe harmonieuse d'une asymptote se rapproche de la verticale dans le devoir de physique de l'élève appliqué.

Réflexion faite, il était certainement une fois, mais je doute qu'il soit encore. Il sera peut-être une autre fois. Bref, il fut un temps où les voyageurs voyageaient, où les humains ne tenaient pas en place. C'était comme ça, question de nécessité toute bête. Un temps où chaque jour était aujourd'hui: ça, même nous, voyageurs de plaisance, pouvons le comprendre une fois que nous avons goûté au mouvement. Les humains d'alors s'inventaient des dieux à leur image, voyageurs, inconfortables dans l'immobilité. Ils s'inventaient aussi des héros dont ils faisaient des images afin qu'ils durent. Comme nous-même faisons, dans certains cercles du moins, des héros de la futilité, des dieux de l'apparence, des représentants de la fausseté. Les dieux d'autrefois avaient certainement leurs défauts aussi, mais ils ne pouvaient se permettre celui d'être faux.

Pour les voyageurs d'autrefois, quitter était affaire quotidienne. Et c'est dans ce geste de laisser derrière soi famille, amis et toutes choses d'habitude qu'ils finissaient par trouver réconfort. Quelques fois, ils ne revenaient pas. Et on comprenait. On se disait certainement qu'ils apparaîtraient peut-être un jour contre le ciel matinal, un jour comme aujourd'hui, oui on l'espérait même peut-être, mais on comprenait. Alors on prenait son couteau pour faire naître un autre dieu, on racontait aux enfants l'histoire d'un autre héros. Quand les matins étaient infinis.