3.10.05


«Vingt ans déjà», se dit René en émergeant de la gare, après avoir lancé sur la ville qui l'entourait un regard circulaire qui lui avait permis de reconnaître l'endroit tout de suite -- les bâtiments, les pubs, les câbles des trolleys, l'air affairé des passants dans le petit matin -- bien que certaines choses aient bien changé; et il ne lui avait ensuite suffi que de quelques pas pour retrouver cette atmosphère qui lui avait été si intime autrefois, et qui influençait à présent jusqu'à sa façon de marcher, cette ambiance qu'il n'avait jamais ressentie ailleurs bien qu'il ait longtemps tenté de la retrouver; ce n'est que quelques minutes plus tard, alors qu'il passerait dans l'aube près de ce bâtiment aux allures de voilier, qu'il comprendrait que ce retour sur les lieux de sa jeunesse, même s'il devait s'avérer inspirant, vivifiant comme l'air marin qui pénétrait la ville, ne lui apporterait jamais ce que secrètement il avait osé espérer trouver, en revenant ainsi après toutes ces années; oui, au moment où il reconnaîtrait cette toiture de voiles se dessiner contre le ciel, il comprendrait que rien n'avait changé depuis le jour où il s'était retrouvé soudain seul, en ce même endroit; il verrait enfin que sa tentative était vouée à l'échec, puisque le passé était englouti aussi sûrement qu'une épave, puisque rien ne changerait le fait que le bateau l'avait emportée, ce jour de printemps d'il y a vingt ans, et qu'elle n'était jamais revenue, elle.