30.9.05


Les nuages sont revenus. Pas ces majestueux passagers blancs qui s'attardent au repaire des montagnes, pas ces voyageurs polaires et marins qui échangent courtoisies et histoires un moment avant de reprendre la route. Non, c'est maintenant la saison des nuages lourds, de la poisse. La ville a été soulevée comme sur la tige d'un haricot et montée en une nuit au pays des nuages. Ils nous entourent, ils veulent s'insérer dans chaque interstice qu'ils trouveront. Ils veulent vaincre et insinuer leur grisaille jusqu'au plus profond de nous.

Une fois rendus en février, mars, ils auront presque réussi.

Pour le moment, Vancouver est automnale, belle dans le brouillard, grisée de griseur. J'ai roulé sous la pluie ce matin, puis suis revenu ce soir dans l'air simplement humide. Sur la rue, les feuilles des chênes tapissaient l'asphalte, aplaties par l'eau et les voitures. «Liquid sunshine», ai-je entendu dire de la part d'un gars à l'esprit décidément positif. Il avait raison.

L'automne est une saison d'odeurs, un deuxième printemps ou fleurit l'humus. Les rues embaumaient la terre et les feuilles détrempées; l'asphalte même sentait bon. Ici et là, le distant parfum d'un feu de bois venait se mêler à cette terrine de senteurs éveilleuses d'appétit: celui de l'âme. L'automne sentait bon la solitude.

Et pourtant tout est relatif. L'autre jour, il avait plu aussi et je passais par le Dowtown Eastside. DTES, disent-ils avec leur manie de tout réduire, de tout sigler. Là-bas, ça ne sentait que l'asphalte trempe. La ville. Ça sentait comme on se sent quand on est surpris par la pluie, que nos jeans et notre chandail sont complètement trempes et qu'on ne s'est pas douché depuis... Ça sentait ordinaire. Pas de feux de bois dans le Downtown Eastside. Pas même ce petit lierre accroché au fil électrique. Pas même cette désespérance, cet essai à bout de souffle. Rien, apparemment, qu'une manière de résignation instantanée. Car si elle ne l'était pas, si elle parvenait simplement à entrevoir le lendemain, tout serait foutu. À quoi bon? (Mais j'y pense... ce serait peut-être justement le contraire.)

Et puis... Quelles odeurs autrefois? Quelles odeurs pour les Homalco, les Sechelth? Quelles souvenances sensuelles aujourd'hui disparues sous l'asphalte? Voilà la vraie archéologie, celle que j'aimerais pratiquer. Ancêtres, j'espère qu'il demeure un relent de votre terre. Je souhaite que les vents qui vous ont caressés ne soient pas déjà disparus. J'essaierai de trouver dans la mer des nuages les senteurs amoureuses du monde qui vous a vu grandir. Je vous écoute. Je vous sens.