5.10.05

Il faisait beau une fois de plus, en cet octobre étrangement calme. Ayant revêtu le grand manteau de cuir des officiers, le maréchal Rommel passa la porte que lui tenait son aide de camp et, ses gants dans la main gauche, son bâton dans la droite, il descendit l'escalier de sa demeure. Son fils le suivait, et l'aide de camp descendit aussi après avoir refermé la porte.

En bas, leurs pieds firent craquer le gravier dont était recouvert toute l'entrée, et ce son amplifiait le silence. Il fallait satisfaire la mort une fois encore, une dernière fois. Après toutes ces campagnes, après tous ces corps laissés à sécher dans les déserts égyptiens, à pourrir dans les campagnes françaises, à rechercher l'oubli dans la boue de la mère patrie. Une fois encore et la carrière de ce patriarche de guerre arriverait à son terme.

Près de la grille d'entrée, les deux généraux et leur chauffeur attendaient, debout devant la Mercedes. Avant qu'il arrive trop près d'eux, le maréchal se retourna pour serrer la main de son aide de camp, puis celle de son fils. Le bras vêtu de cuir noir et souple, la main ferme, à peine tremblante: voilà le souvenir que devait conserver toute sa vie le fils du maréchal. Bien qu'il l'ait à ce moment regardé dans les yeux, il ne parvint jamais ensuite à se rappeler l'expression qu'avait pu afficher son père à ce moment. Tournant les talons, plaçant son bâton sous son bras gauche et enfilant ses gants, le maréchal Rommel poursuivit seul vers la voiture. Encore une fois la mort.

Salutations militaires, mains portées à la casquette. Silence, toujours. Le chauffeur ouvrit la porte et le maréchal monta s'asseoir sur la banquette arrière. Un des généraux vint se placer à côté de lui, tandis que l'autre s'installait à côté du chauffeur qui mettait en marche. La voiture passa la grille et commença à monter la longue côte qui faisait face à la demeure.

Dix minutes plus tard, le sommet de la côte passé, la route traversait un boisé. La voiture s'immobilisa. «Cent fois, pensa le maréchal, j'aurais préféré le tir des Anglais.» Mais ce choix ne lui était pas offert. Le général de devant sortit avec le chauffeur et les portes claquèrent. Ils s'éloignèrent doucement comme s'ils faisaient la promenade du dimanche. Se tournant vers le maréchal, l'autre général présenta une boîte de bois déjà ouverte. À l'intérieur, un seul petit cylindre de laiton qui faisait penser à une balle, à toutes ces balles que lui, Rommel, avait fait pleuvoir sur les champs de bataille d'Europe et d'Afrique, à toutes celles aussi que les hommes placés sous son commandement avaient reçues dans leurs chairs de soldats obéissants. Le maréchal regarda le général dans les yeux. Puis il enleva ses gants et prit le cylindre de laiton de la main gauche, entre le pouce et l'index. De l'autre main, il en dévissa le bouchon. La mort, une dernière fois.