7.10.05


Le silence venait de retomber sur l'orée du désert. Une heure durant, un homme plus dégourdi que les autres avait raconté les légendes de son coin de pays, mais l'histoire terminée, le groupe de voyageurs s'était dissout, chacun revenant dans son individualité, s'y drapant pour passer la nuit.

Thom se retourna vers son compatriote qui s'installait pour dormir:

-- Tu as compris quelque chose?

-- Non. Enfin, peut-être un peu.

Assigné au bureau de la capitale depuis quelques mois, Jeffrey se débrouillait déjà bien avec la langue du pays. Assez en tout cas pour se rendre compte que cet homme-là parlait une autre langue, ou alors une variation qui ne ressemblait à rien de ce qu'il avait appris avec les interprètes du ministère. Mais il n'avait pas eu besoin de ses humbles connaissances pour saisir les histoires d'amours impossibles et de trésors inatteignables que les mots et les gestes de l'homme faisaient naître dans la profonde soirée d'automne.

Il était bien sûr possible que l'homme ait parlé de tout autre chose et que Jeffrey ait tout imaginé. Qu'importait, après tout? Ces histoires semblaient magnifiques, qu'elles aient été imaginaires ou pas. Jeffrey avait eu l'impression d'entendre ce qu'ailleurs il avait pu voir, d'entendre ces portes de bois sans âge de la vieille partie de la capitale, d'entendre ces murs de pierre qui tenaient ensemble autant grâce au mortier qu'aux secrets dont ils étaient pleins, d'entendre le visage des vieilles femmes qui filaient la laine sur des métiers plus vieux qu'elles, assises au bord de la route. Les braises chuintaient sous la caresse du vent. Couché sur le dos, Jeffrey contemplait les étoiles.

-- Jusqu'où allons-nous demain?, demanda encore Thom.

-- Il y a une oasis à mi-chemin entre ici et les ruines. Je crois que c'est ce que nous allons tenter d'atteindre.

Jeffrey tentait de retrouver la Grande Ourse, mais n'y parvenait pas. Soit qu'elle n'était pas visible dans ce coin du monde comme elle l'était chez lui, soit que les trop nombreuses étoiles parvenaient à la dissimuler pour le moment. «Bonne nuit», ajouta-t-il pour tuer dans l'oeuf une conversation à laquelle il ne tenait pas.

Remuant un peu son dos dans le sable pour y créer une dépression confortable, Jeffrey se prépara à dormir. Il ferma les yeux et les étoiles disparurent. Peu à peu, les craquements de la nuit se manifestèrent. Légers crissements du sable remué par le vent, picotements de la braise agonisante, frottements des hommes qui se recroquevillaient, embarassés par l'infini. Le silence du désert grouillait d'une vie discrète, comme le dessous d'une pierre plate. Sous leurs paupières, les yeux de Jeffrey s'agitaient, se tournant malgré eux vers chaque nouveau son, tandis que son esprit toujours alerte tentait de reconnaître de quoi il s'agissait. Il rouvrit les yeux.

-- Bonne nuit, répéta-t-il à l'intention de Thom, maintenant déçu d'avoir été si sec quelques minutes auparavant. Mais Thom dormait déjà.