12.4.06


J'ai toujours aimé les autobus. Depuis que, tout petit, je prenais pour dix sous celui qui passait sur Girouard ou Côte-Saint-Antoine, et plus tard le 24 qui se rendait au centre-ville. Là, à la Plaza Alexis-Nihon, pour une raison étrange et avec un compagnon dont je tairai le nom au cas où il devait un jour être admis au sénat ou faire une demande d'emploi à la GRC, j'allais voler des trucs, comme une barre Toblerone à la pharmacie qui faisait le coin sur Sainte-Catherine.

J'ai aimé plus tard les autobus qui m'ouvraient les chemins entre les villes. J'ai aimé, pour la même raison, les avions. Et jusqu'à ce jour, quand je monte dans un autobus où on respire un peu, comme ici dans le 3 Main, une fois passé la station de SkyTrain où la foule descend, je me sens bien. Je suis seul. J'ai le temps.

J'aime écouter, regarder, sentir. Dans une ville nouvelle, j'aime voir ce qui est différent: comment les bancs sont faits, les formes des poteaux, les publicités, l'uniforme du chauffeur, les billets. Il y a dans tout autobus beaucoup de ce qui fait l'importance des voyages. Il y a qu'on n'est nulle part.

Oui, bien sûr, on longe Main Street, on suit Powell, on parcourt Sherbrooke. Et on en vient à connaître chaque coin de rue, la plupart des commerces, les boîtes à malle; on se trouve à Vancouver, à Montréal ou ailleurs. Mais si on peut apprendre à être simplement en un lieu indéfini, quelque part entre l'arrêt de départ et l'arrêt d'arrivée, on est bien. Beaucoup lisent, moi aussi souvent, plusieurs parlent maintenant au téléphone ou écoutent de la musique. Mais je pense qu'il faut aussi ne rien faire; être ouvert.

J'aime cette chance que l'on possède de se laisser mener. Pour deux dollars vingt-cinq, on acquiert cette tranquillité d'esprit: on se rendra bel et bien au point B. L'esprit est libre.

J'aime revoir les mêmes gens de temps en temps. Apprendre à connaître leurs habitudes. Quand je prends le 4 à 7h35, je tombe toujours sur un gars qui descend au même arrêt que moi, coin Powell et Main. Au moment où l'autobus ralentit et puis stoppe à l'arrêt, il lance inévitablement au chauffeur un «Thanks, Bud!» de la porte arrière. Et puis nous descendons. Parfois, je regarde les chaussures des gens et j'essaie d'imaginer de quoi ils ont l'air juste avec cet indice. Quand il fait beau, je regarde par la fenêtre. Comme en avion.

L'autre jour, dans le 10 qui remontait Hastings, deux jumelles revenaient de l'école. De grandes filles asiatiques âgées de dix-sept ou dix-huit ans, avec des visages étranges, longs et beaux. Elles étaient fatiguées et, affalées sur la banquette en face de moi, elles avaient leurs deux têtes accotées l'une sur l'autre. Elles ne parlaient pas mais restaient là, ondulant du mouvement de l'autobus, bougeant parfois les mains comme pour tenter de ne pas s'endormir tout à fait. Il y avait là tant de tendresse et d'intimité que c'était gênant de les regarder, ce que pourtant j'essayais de faire le plus possible.

J'aime cette confrérie ordinaire qui fait que parfois, un inconnu tirera pour un autre le cordon pour demander un arrêt s'il voit que l'autre veut descendre mais ne peut l'atteindre.

Je suis parfois triste en descendant de l'autobus. Entendons-nous bien: souvent, comme tout le monde, je ne veux qu'en sortir au plus maudit et me retrouver chez moi ou alors n'importe où pourvu que je ne sois pas obligé de côtoyer tous ces gens. Mais parfois, je ne descends que parce qu'il le faut vraiment, que je suis arrivé et que vraiment ce serait ridicule de continuer alors que je suis attendu à la maison ou au boulot. Alors, je marche lentement, très lentement pour me rendre là où il faut, comme si je voulais faire durer cet espace de rêverie, de lente découverte. Et je garde dans ma poche, en souvenir du dernier voyage et en symbole de tous le autres, ce carton imprimé de mots tout simples et d'une bande magnétique, ma correspondance.

1 Comments:

At 10:59, Blogger Véronique said...

Très joli post! Je tiens beaucoup à ma routine du matin dans le bus, moi aussi, j'ai ma place favorite, j'aime voir des visages qui sont devenus familiers... Je me sens bien mieux qu'en voiture! Il y a une complicité qui se crée. L'autre soir, en traversant Granville Bridge, une vieille dame assise à côté de moi m'a "avoué" qu'elle se sentait toujours comme une petite fille, émerveillée par les couchers de soleil vus du pont...

 

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