4.5.06

À cet endroit, je peux retourner si je veux. Car cet endroit existera tant que je vivrai. Ensuite? Il existera toujours, mais autrement. Et pourtant, à l'origine, les faits sont immuables: le chemin de pierres plates et dorées qui serpente entre les bosquets aménagés; le bassin carré vers la gauche, d'où sortent des roseaux et avec, à la surface de l'eau, des feuilles paresseuses d'entre-deux mondes; les quelques éclats de couleur des fleurs de la saison; et enfin, au bout du chemin, le grand banc carré de bois sombre avec, derrière, l'immense cyprès qui lui fait de l'ombre.

Les enfants nés ce jour-là sont devenus adultes depuis que je m'y suis couché.

C'est pourtant bien ce que j'allais faire. Dans la chaleur lourde du midi, quand le temps lui-même mollissait, je me rendais à cet endroit par les sentiers éclatants de lumière de ce campus à l'orée du désert. Le bassin ne donnait pas au monde assez de fraîcheur pour faire vaciller la touffeur de l'air, mais l'ondulation des tiges et le bruit occasionnel d'une eau remuée par quelque chose suffisait à mieux faire supporter la chaleur, à la rendre agréable même, justement parce qu'on y pouvait trouver ces éclats qui trompaient la torpeur.

J'allais m'étendre sur le banc, à l'ombre du cyprès. Et cette ombre avait une qualité unique, comme si chaque essence d'arbre eut possédé la sienne propre, aussi utile pour l'identifier que la texture de son écorce ou la forme de son fruit. Je me disais que les cyprès donnaient l'une des meilleures ombres qui soient...

Couché sur le côté, les jambes légèrement repliées, je pensais au monde qui m'environnait. À la profondeur du temps que l'on trouvait ici. Au cimetière des soldats écossais qui se trouvait à quelques centaines de mètres de là: un parterre de croix blanches, immaculées, figurant l'endroit où des Macleod et des Campbell reposaient, plus près de la mer Morte que du souvenir d'aucun loch. Étrange image que seule la guerre avait pu créer.

Je pensais aussi à la beauté du jour, en fait je n'avais pas besoin d'y penser, mais seulement de m'y abandonner, ainsi qu'aux odeurs fortes ou gracieuses qui peuplaient l'atmosphère. Je ne dormais pas: je rêvais.

Et c'est là que je retourne parfois. Il suffit d'un instant, il suffit d'un respir pour que je retrouve mon frère le cyprès, pour que je me confie à son ombre fraîche et odorante.

Car les ombres, aussi, sont un peu l'âme des arbres.