27.4.06

Deux coupures.

Quand je pense à ma circoncision, je me dis que ça devrait être un moment déterminant de mon existence. Et pourtant, je ne crois pas que ce soit le cas. Il est vrai que dans le fond, ce n'est pas énorme: un petit bout de peau de moins, un changement d'apparence que je ne perçois pas comme tel puisque je n'ai pas vraiment souvenir d'avant. Et pourtant c'est arrivé quand j'avais onze ans, tout de même... Une infection, ou quelque chose, et la décision a été prise: il fallait trancher! Le cabinet d'un médecin sur Côte-des-Neiges. Et puis l'hôpital, le petit Christian couché sur un lit roulant, l'anesthésiste qui peine à enfoncer son aiguille au bon endroit dans le dos de ma main (il n'y avait pas là à l'époque la géographie de veines qu'on y trouve aujourd'hui). L'étrange sommeil, évidemment, je ne m'en souviens pas, mais le réveil pâteux, incertain, dans une chambre d'hôpital d'un jaune impersonnel, je l'entrevois encore. Et puis, après le retour à la maison, je me revois aussi très bien, assis dans la salle à manger où se trouvait la télé. J'étais installé par terre, sur les énormes coussins qu'avait faits ma mère, dans la tranquillité de l'après-midi. Je manquais l'école et je regardais la télé, un sac de glace entre les jambes. Il ne fallait pas trop bouger. La plaie était rouge et noire, ces couleurs de charcuterie, et la peau enflée. Il a suffi d'attendre, et la chose est passée.

Et puis? Et puis c'est tout. La vie a continué, pareille, ou en tout cas semblable, ne se souciant pas de ce petit bout de peau que j'avais perdu. On perd bien pire tous les jours, allez. Et pour moi la chose est demeurée une curiosité, rien d'énervant, et après tout quand on pose la question autour de soi, on se rend compte que beaucoup d'homme sont circoncis. Quelle étrange affaire! Seule conséquence peut-être dans mon cas: il était absolument exclus que je fasse faire ça à mes enfants. J'ai souvent parlé à des parents -- et pas des juifs -- qui l'avaient fait faire parce que la tradition, parce que ça pourrait disaient-ils éviter des problèmes... Bullshit. Mais ça montre à quel point les habitudes sont solides. Et peut-être aussi la peur d'une certaine «saleté». Ça tient fort, comme un hameçon accroché à la joue d'un poisson.

Et pourtant, pour moi, il s'agit bien d'une borne dans ma vie. Mon corps a changé ce jour-là, et j'ai certainement dû m'adapter à une réalité un tantinet différente. Mais pas grand-chose.

En fait, il va bientôt falloir que je vive une expérience cousine à celle-là. Le temps de la vasectomie est arrivé! Je l'écris, et ça me paraît étrange. Bien sûr, ce sera bien, et pratique, et cetera. Facile en plus: c'est tout juste si les médecins qui font ça ne s'annoncent pas à la télé. Incision, coupe-coupe, est-ce que les Flames ont gagné hier soir?, et voilà, on ne se revoit pas le mois prochain. Depuis que j'y pense, cependant, c'est le côté symbolique de la chose qui me chicote. Le changement d'état, le passage volontaire à l'incapacité de se reproduire.

Je pense à chaque fois à Martin Gray, dont j'avais écouté le récit en cassette, Martin Gray qui après avoir perdu sa famille entière, quand il était enfant, dans les camps nazis, avait fondé sa propre famille, eu quatre enfants, et tout semblait beau. Sauf que femme et enfants sont disparus dans un incendie tragique. Incapable de se résigner à s'éteindre sans progéniture (ou simplement parce qu'il avait rencontré une autre femme qu'il aimait, je ne sais plus), voilà notre Martin qui à cinquante ou soixante ans passés recommence une autre famille. Porté par l'espoir de la vie.

Évidemment, je ne pense pas que quelque chose de semblable m'arrivera... sauf que je vais aller remettre au vestiaire cette «assurance» de pouvoir donner au monde des enfants. Mais oui, je sais, si ce n'est pas moi ce sera très certainement mon frère qui peuplera le monde. Il ne manque pas de candidats de ce côté-là. Je sais. Mais il y a une sorte d'instinct, au-dedans qui, lui, ne le sait pas.

Allez, ne vous en faites pas: demain, je le jure, je change de sujet!

2 Comments:

At 10:01, Anonymous Anonyme said...

Bonjour Christian,

«Allez, ne vous en faites pas: demain, je le jure, je change de sujet!»

C'est sûr, les gars, on ne parle pas deux jours de suite de notre machin-truc (à moins que ce soit pour se vanter...) Quand même, cela m'a touché que tu oses. Je n'ai pas la même expérience que toi de la circoncision (moi, c'est le lendemain de ma naissance - en 1953 on faisait ça comme ça, à Trois-Rivières, Québec). Pour ce qui est de la vasectomie, eh bien!, je reconnais tout à fait dans ton appréhension et dans la description souriante que tu fais de l'intervention, ce que j'ai vécu il y a huit ans dans une clinique de la Rive-Sud de Montréal.

Un serrement au coeur, un agacement lancinant là, justement, pendant quelques jours et un haussement d'épaules. Aucun regret en fin de compte.

Si jamais le besoin d'enfants revenait? Il y en a tant, bien plus qu'on peut aimer d'ailleurs, déjà nés.

Bonne chance.

À demain.

 
At 13:05, Anonymous Anonyme said...

Voilà bien la seule fois où j'interviendrai en tant que maman ici, si tu permets, juste pour préciser que mon inexpérience m'a fait écouter le docteur Y........ La dilatation du prépuce était incomplète. Les raisons de propreté n'ont pas pesé sur cette décision. Cette idée qui ne m'aurait pas effleuré l'esprit. Il s'agissait de mon premier garçon, j'ai écouté aveuglément le pédiâtre. Maintenant, dans un tel cas, on laisse l'adolescence et les premiers émois accomplir leur oeuvre. Ça fonctionne très bien. O! mea culpa!!

 

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